Les historiens Joël Cornette et Johann Chapoutot débattent de l’histoire de France et de son enseignement.
Il est important de ne pas laisser la nation à ceux qui l’envisagent uniquement dans une perspective obsidionale, comme une citadelle assiégée sur laquelle des hordes d’étrangers viendraient se jeter. (Johann Chapoutot)
Mais où donc est passée la France ? C’est en ces termes que certains historiens, essayistes ou journalistes s‘émeuvent d’une prétendue disparition de l’histoire nationale dans les programmes de l’éducation nationale. L’enseignement ferait la part trop belle à «Songhaï ou Monomotapa», au détriment de Louis XIV et Napoléon. La polémique est relancée cet automne. Sous certains aspects, ces inquiétudes rejoignent l’idée qu’il faudrait «renforcer notre identité nationale», mission qui avait été confiée par Nicolas Sarkozy à la Maison de l’histoire de France, dont il avait porté l’initiative.
Avant d’être abandonné par le gouvernement de gauche, ce projet fut vertement critiqué, notamment pour son cadrage hexagonal, jugé totalement en décalage avec l’histoire qui s’écrit aujourd’hui, une histoire des rencontres, des connexions et des métissages. Dans ce contexte politique et intellectuel, prendre l’histoire de France comme objet peut s’avérer un exercice périlleux, soumettant ses auteurs au double soupçon de ringardise ou de nostalgie d’une gloire perdue. […]
J. Co. […] la singularité de la France est précisément qu’au moment où elle se constitue comme Nation, au moment de la Révolution, elle nourrit des idéaux transnationaux (liberté, égalité, fraternité). Ainsi, en un sens, elle est une nation internationale dès l’origine. Par ailleurs, elle se nourrit des apports étrangers. […]
J. Co. La France est une invention. La bonne question est d’ailleurs de savoir ce qui “invente” la France : est-ce la nation ? Ou l’Etat ? On peut avancer l’hypothèse suivante (mais c’est sujet à discussion) : en Italie ou en Allemagne, une nation, un peuple, un territoire préexistent à la formation de l’Etat, alors qu’en France, c’est le contraire : la nation est construite par le politique. […]
J. Ch. En France, l’Etat est central et moteur dans l’avènement de la nation et de la citoyenneté. C’est l’héritage des Lumières : on n’est pas français par essence ni par naissance, mais par libre arbitre et par choix […].
Le Monde (Merci à Imperial W.)