Un homme d’affaires américain affirme avoir déversé 100 tonnes de sulfate de fer dans l’océan Pacifique au large des côtes canadiennes pour favoriser l’émergence de phytoplancton afin de piéger du CO2 et lutter contre le réchauffement.
«Si c’est avéré, c’est grave» prévient Stéphane Blain, directeur du Lomic (Laboratoire d’Océanographie Microbienne) à Banyuls-sur-Mer (CNRS). Russ George, un businessman californien se vante d’avoir déversé au mois de juillet quelque 100 tonnes de sulfate de fer dans l’océan Pacifique au large des côtes canadiennes.
L’apprenti sorcier dont le procédé a été révélé par le quotidien britannique The Guardian viserait plusieurs objectifs. Faire d’abord la démonstration que l’on peut ainsi capter du CO2, l’un des gaz à effet de serre responsable du changement climatique. Le fer en effet stimule la croissance du phytoplancton consommateur de CO2. Lorsqu’il meurt, il tombe au fond des océans en ayant piégé le carbone. C’est l’une des techniques plus ou moins sérieuses envisagées pour essayer de manipuler le climat, que l’on appelle géo-ingéniérie.
Mais surtout Russ George aurait fait miroiter auprès des communautés de l’archipel canadien Haida Gwaii (au large de la Colombie-Britannique), qui l’ont aidé à financer le projet à hauteur de 2,5 millions de dollars, qu’elles pourraient en tirer des crédits carbone mais aussi que cela permettrait de restaurer les populations de saumons. «Une publication scientifique a en effet postulé que les cendres d’un volcan chargées de métaux avaient permis de fertiliser un océan en favorisant l’émergence de phytoplancton et le retour de saumons», souligne Stéphane Blain.
Le problème, c’est que toute cette opération est réalisée sans aucun contrôle. «Les photos satellites montrent bien une explosion du phytoplancton mais c’est normal d’en voir en cette période de l’année» souligne tout d’abord Jim Thomas l’un des responsables de l’ONG canadienne ETC dont l’une des raisons d’être est de surveiller ce qui se fait en matière de géo-ingénierie. «Russ George affirme qu’il avait des scientifiques avec lui mais il refuse de donner les noms. Il est donc difficile de savoir ce qui a vraiment été fait» ajoute-t-il.
Une expérience contraire aux règles internationales
Ce type d’expérience est par ailleurs très controversé car personne n’est en mesure de dire aujourd’hui l’impact que cela peut avoir sur l’environnement et en l’occurrence la biodiversité marine. «La dernière expérimentation officielle a eu lieu en 2009» rappelle Stéphane Blain. Mais parallèlement des études soulignent que cela pourrait appauvrir en oxygène de vastes zones ou encore faire émerger des algues toxiques. «D’un point de vue strictement scientifique c’est une approche intéressante» poursuit le chercheur «mais je suis plus favorable à des recherches effectuées à partir de fertilisation naturelle», précise-t-il.
Enfin, cela est totalement contraire au droit international. Un moratoire a été établi sur de telles pratiques au nom de la Convention sur la diversité biologique (dont les représentants sont actuellement en discussion à Hyderabad, en Inde) mais aussi de la Convention de Londres sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets. «Sans oublier l’argent prêté par les communautés locales. Ils espéraient se rembourser avec des crédits carbone, mais le marché n’existe pas», affirme Jim Thomas.
«Mais tout cela ne doit pas empêcher que la recherche se poursuive», insiste Stéphane Blain. Un travail dans le cadre de l’ANR (Agence nationale de la recherche) débute d’ailleurs dans quelques semaines qui doit justement discuter l’ensemble des techniques de géo-ingénierie, sous tous leurs aspects. Un travail d’un an et demi. De quoi dépasser la seule publicité d’opérations dont le sérieux reste à prouver.