Boulevard de Ménilmontant, dans le 20e arrondissement de Paris :
Malika, 35 ans, dispose des briques de soupe, du pain de mie, des conserves de haricots verts et de pois chiche sur un carton. Deux euros l’unité. Elle explique qu’elle revend ce que sa famille ne mange pas dans les paniers donnés par les associations caritatives. Si elle gagne 20 euros, elle achètera autre chose pour ses enfants, Elena et Adlan, 8 et 10 ans, qui surveillent le petit étal.
Thomas, cigarette au bec, leur achète de la soupe et des pâtes. Chez sa voisine, il se fournit en petits pots, couches pour bébé et range le tout sous la poussette où sa fille de sept mois dort à poings fermés.
À côté on vend du saumon fumé, du dentifrice, des médicaments, des tablettes de chocolat en nombre. Il vérifie la date de péremption et prend du saumon. « Ça, c’est volé dans les magasins », explique ce trentenaire qui habite le quartier depuis cinq ans. « Ma copine ne travaille pas, on touche un peu plus du Smic pour trois. Il suffit de faire un peu attention à la qualité des produits, et tu fais beaucoup d’économies ».
Quand deux agents de la Brigade spécialisée de terrain (BST) passent dans l’allée, draps et cabas se referment, les vendeurs regardent ailleurs. Puis tout redémarre.
Un vieil homme propose des glaces à 40 centimes. Au milieu des badauds, Stéphane essaie de revendre son IPhone 180 euros. Le téléphone passe de main en main mais le jeune homme veille. Ici les choses disparaissent vite, qu’elles soient achetées ou volées. Il se méfie surtout des « flics en civil ».
Depuis mai, les forces de l’ordre occupent au quotidien le secteur de Belleville ; on en croise tous les dix mètres. Quand les agents de la Brigade anticriminalité (BAC) passent à l’action, les vendeurs rangent pour de bon. « Qu’est-ce que c’est cette nourriture ? D’où ça vient ? », interroge l’un, ceinturé d’un gilet pare-balles. « Non monsieur, non monsieur… » bredouille une Tchétchène à qui il confisque une valise. Plus loin, le même vide sur un banc le sac à dos d’une jeune femme. Des DVD gravés, des télécommandes, quelques livres et des colliers dégringolent à terre. Elle ramasse en jurant tandis que les DVD, brisés en deux, atterrissent dans une poubelle. Vers 22 h, les CRS dispersent le groupe de curieux formé autour d’elles. « Dégagez, bande de sous-merdes ! Dégagez ! »
Ainsi va le « marché de la misère ». Marché des « pauvres », « informel », « sauvage », voire « marché des voleurs », selon les termes.
Ils ont toujours existé aux portes de Paris, à Montreuil, Saint-Ouen, Vanves, mais ont pris ces dernières années des proportions considérables sous l’effet de la crise et des différentes vagues d’immigration.
Roumains, Tchétchènes, Serbes, Arméniens, Africains, Maghrébins, Chinois et Français ont remplacé les chiffonniers qui revendaient autrefois du tissu, du fer ou du verre. Dans ce maelström, difficile parfois de distinguer les « biffins », qui vendent des objets récupérés, des « sauvettes », dont la marchandise peut être volée. La plupart du temps, le gain dérisoire permet de survivre, vivoter ou arrondir les fins de mois.
« Ça a commencé le week-end, en marge du marché aux puces, racontent Moktar et Mouloud, éboueurs Porte de Montreuil. Maintenant ils sont là presque tous les jours, tôt le matin ou en fin de journée selon les horaires des flics ».
Le samedi matin vers 8h, les marchands officiels installent leur stand sur la place. Alentours, on fait de même dans le marché de la brocante. Un peu plus loin, après un pont qui traverse le périphérique, celui des sauvettes fonctionne depuis plusieurs heures dans une allée étroite.
Une famille de Rroms, sacs Ikéa sous le bras, déballe sa marchandise. Des vêtements vendus 50 centimes pièce. « Ça vient des poubelles du 16e, 17e, 8e arrondissements, explique l’un eux en espagnol. Il y a aussi les containers à vêtements. Les enfants peuvent se glisser à l’intérieur. Mais il faut faire attention, parfois ils restent coincés et on doit appeler les pompiers ! »