Déboussolés par la crise, de nombreux Américains attendent toujours les bénéfices d’une reprise économique qui, bien que réelle, demeure insuffisante. Ils craignent, surtout, que l’American Dream ait disparu.
Malgré trois ans et demi de reprise, l’économie américaine compte encore plus de 12 millions de sans-emploi (soit un taux de chômage de 7,8% en septembre) et le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté dépasse les 46 millions. Pis, tandis que le revenu des plus pauvres a encore régressé en 2011 (-1,2% pour les plus bas), celui des plus aisés a augmenté de 1,6%, selon les données officielles. Jamais, en 40 ans, le fossé entre riches et pauvres n’avait été aussi large.
Autant dire que l’American Dream, celui d’une prospérité acquise, pour soi ou ses enfants, à force de travail, a du plomb dans l’aile. « C’est vrai que l’Amérique n’a pas le moral et que la frustration est grande », convient Neal Soss, chef économiste au Crédit suisse, à New York. Certains croient qu’un changement à la Maison-Blanche, avec une victoire du candidat républicain, Mitt Romney, à la présidentielle du 6˙novembre prochain, leur rendra espoir. D’autres préfèrent donner à Barack Obama quatre années supplémentaires pour qu’il achève le travail commencé.
Si une élection se gagne sur de nombreux éléments, qui vont de l’argent levé pour la publicité à la personnalité des candidats en passant par leur programme, il est clair qu’au-delà de questions sociétales – avortement et mariage gay˙- ou de politique étrangère – guerre en Afghanistan, relation commerciale avec la Chine ou le Proche Orient˙-, l’économie est cette année la préoccupation majeure des électeurs.
Certes, la situation s’est améliorée. Quand Barack Obama a prêté serment sur la Bible, en janvier˙2009, les grandes banques étaient en perdition, l’industrie automobile menacée de ruine et le marché de l’immobilier, de même que celui de l’emploi, semblait entraîné dans une dégringolade sans fin. Toutefois, la reprise n’est pas suffisamment forte pour effacer le traumatisme de la crise. « L’économie va mieux – c’est ce que dit Obama – mais on ne peut pas dire qu’elle va bien – c’est ce que souligne Romney. Tous deux ont raison », rappelle ainsi Neal Soss, au Crédit suisse. Alors qu’au cours des reprises passées la croissance bondissait, elle ne se situe, depuis la fi n de la récession, qu’autour de 2% par an. Trop peu pour relancer franchement la job machine. Trop peu, également, pour espérer réduire rapidement le déficit public.
Pas plus d’embauche que d’augmentations
« Les prix de l’immobilier remontent depuis quelques mois, mais ils sont encore loin d’atteindre les sommets observés il y a quatre ans », relève de son côté Michael Brown, économiste chez Wells-Fargo, à Charlotte, en Caroline du Nord, qui ajoute : «Même chose pour l’emploi : 2 millions de postes ont bien été créés sur les 12 derniers mois, mais il existe encore des poches de chômage important, en particulier dans l’Ouest. » Quant aux bénéfices des entreprises, « ils étaient à des niveaux records sur la première moitié de l’année – grâce aux gains de productivité. Les entreprises n’embauchent pas, ni n’augmentent les salaires », souligne encore cet économiste. Bref, « tout dépend des statistiques que l’on privilégie », conclut-il.
Les électeurs qui pointent au chômage se moquent des 3,4 millions d’emplois sauvés ou créés grâce au plan de relance de 2009. Et si, incapables de payer les traites de leur emprunt, ils ont dû vendre à vil prix leur home sweet home, peu leur importe qu’aujourd’hui le marché de l’immobilier reparte. Quant à ceux qui sont inquiets pour leur emploi, le come-back réussi de l’automobile à Detroit les laisse de marbre… Enfin, les bénéfices record affichés par la Corporate America, en particulier ceux des banques, frustrent l’Américain moyen plutôt qu’ils ne le réjouissent…
C’est ce paysage économique fait d’ombres et de lumière qui explique qu’à quelques jours du scrutin, aucune majorité ne se dégage : les électeurs sont divisés à égalité entre supporteurs d’Obama et partisans de Romney – qui inspire le plus confiance en matière de gestion de l’économie˙-, et les indécis sont nombreux.« L’ironie de la situation, c’est que le Parti démocrate a des problèmes avec la classe ouvrière », remarque George Edwards, professeur de sciences politiques à l’Université Texas A & M, à College Station, près de Houston. De fait, les cols bleus – des hommes blancs d’âge moyen – ne se reconnaissent pas dans Obama, qu’ils perçoivent comme un « intello », noir de surcroît… S’ils viennent du Sud, très conservateur, le rejet est encore plus net.
La polarisation de l’Amérique – deux camps se faisant face, sans compromis possible – s’était accrue avec George W. Bush. Elle est à son comble actuellement. Dès le début de son mandat, Obama a dû faire face à des campagnes de dénigrement : il serait musulman, ne serait pas né aux États-Unis et ne devrait donc pas être président…