par Paul Jorion
On n’aura donc pas eu droit aux affres des infinis recomptes de bulletins de vote que les États-Unis avaient connus en l’an 2000, puisqu’Obama l’aura emporté sur Romney avec une majorité assez nette. Du point de vue législatif, évolution paradoxale : les républicains étoffent un peu leur majorité au Congrès, et les démocrates, la leur au Sénat.
Obama n’aura pas les coudées franches sur le plan législatif. Cela fera-t-il pour lui une réelle différence si l’on se souvient que lorsqu’il avait été élu, il disposait d’une majorité de rêve, mais n’en avait absolument rien fait, sinon attendre qu’elle s’effrite. Ses premiers cent jours, s’étaient égrenés tout en demeurant, à la consternation générale, le même désert.
Les Français ont vécu récemment une réédition du même scénario. Pourquoi, se demandera-t-on, de tels paradoxes ? Je hasarde une hypothèse : parce que dans l’un et l’autre cas, le vainqueur s’est déjà situé mentalement dans la phase suivante : celle du gouvernement d’unité nationale qui sera nécessaire pour faire admettre aux peuples qu’il n’y a plus rien à gagner à vouloir reconstruire à l’identique, et l’on se ménage l’opposition traditionnelle en faisant sa politique à elle plutôt que la sienne propre. On se souviendra ainsi de l’alignement consternant d’Obama sur certaines positions du « Tea Party », la frange libertarienne du parti républicain.
Pour qu’une telle stratégie puisse réussir, il faudrait qu’émerge un vaste consensus au centre. Or, et Obama a pu le constater durant son premier mandat, devant la détérioration de la situation qu’entraîne un tel attentisme, c’est précisément le centre qui s’effondre ; ce sont les extrêmes qui gagnent en puissance et les partis de gouvernement, centristes au départ, finissent par s’aligner sur ces extrêmes qui les débordent, et tout dialogue entre eux devient impossible.
Tout laisse présager que c’est à cela qu’Obama se verra confronté durant son deuxième mandat : une double radicalisation, des républicains et des démocrates, chacun de son côté, faisant monter la vocifération de part et d’autre, accompagnée d’une paralysie sur le plan politique, le Congrès et le Sénat parvenant à se neutraliser mutuellement, tandis que le Président tentera de se frayer péniblement un chemin à coups de décrets, d’« executive orders », dont son opposition républicaine mettra systématiquement en cause la constitutionnalité.
Certaines personnalités sont ainsi faites qu’elles se révèlent à leur avantage dans l’adversité plutôt que dans la félicité et espérons pour nous tous qu’il en sera ainsi dans l’avenir immédiat et ce, sur les deux rives de l’Atlantique. Ceci dit, préparons-nous plutôt au monde de demain qui se dessine par-delà l’énorme locomotive renversée du monde qui lui se termine, dont les roues dressées vers le ciel, tournent à vide, désespérément.