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Deux techniques spéculatives controversées sont désormais mieux encadrées, avec l’entrée en vigueur jeudi 1er novembre d’un règlement européen. Le texte en question interdit les CDS “à nu” portant sur la dette des Etats et impose plus de transparence pour les ventes à découvert.

Un CDS (pour “Credit default swap”) est un produit financier assurant contre le risque de non-remboursement d’un agent économique. Son cours sert d’alerte aux autres marchés : quand le CDS d’un Etat (dit CDS souverain) ou d’une entreprise s’envole, sa capacité à emprunter en pâtit presque automatiquement – c’est ce qui s’est passé pour plusieurs Etats au moment de la crise des dettes européennes.

La vente à découvert consiste quant à elle à vendre sur le marché un titre que l’on ne détient pas en portefeuille au jour de la négociation, dans l’espoir de le racheter plus tard à un prix inférieur. Le titre est généralement emprunté à un intermédiaire financier, et rendu lorsque le titre a été racheté. On parle de vente à découvert “à nu” lorsque le vendeur n’a pas emprunté préalablement les titres qu’il cède.

Or, il est désormais interdit aux investisseurs d’acheter des CDS souverains lorsqu’ils ne détiennent pas les titres de dette correspondants. Cela ramène le marché des CDS à ce qui est censé être son utilisation première : l’assurance contre un événement exceptionnel.

“INTÉRÊT À CE QUE LA MAISON PRENNE FEU”

L’interdiction vaut dans toute l’Union européenne, et notamment à la City de Londres d’où opèrent les banques d’affaires et les fonds d’investissement, qui manipulent ce type de produits. Jusque-là, “c’était comme si je m’assurais contre un incendie sur une habitation dont je ne suis ni propriétaire ni locataire. J’avais tout intérêt à ce que cette maison prenne feu pour toucher la prime”, explique Paul Jorion, économiste critique de la logique des marchés.

Un participant à un master de finances en Suisse, formant des futurs gestionnaires de hedge fund, raconte : “Nous devions construire des portefeuilles fictifs et comparer leurs performances. Ceux qui ont pris le plus de risques dans cet exercice étaient des ressortissants de pays dont la dette est considérée comme très risquée et qui souscrivaient des CDS de leur propre pays à nu”.

Finance Watch, association de surveillance de la finance basée à Bruxelles et dont a fait partie Pascal Canfin, a étudié l’intérêt de ces CDS souverains pour les Etats et conclu dans un rapport qu’“il constituait une illustration parfaite d’un intérêt privé (dirigé par le désir de profits) maquillé par le lobby du marché des dérivés comme un argument d’intérêt général (baisser le coût de refinancement des emprunteurs publics)”.

Quand le Parlement et le Conseil européens s’étaient accordés l’an dernier pour lancer cette refonte des règles du jeu, le commissaire européen aux services financiers avait salué un “accord ambitieux qui marque le renforcement de la stabilité financière”. S’il n’a pas accusé les produits dérivés d’avoir causé la crise, Michel Barnier a clairement pointé leur rôle dans son aggravation.

LES ACTIONS ET LES DETTES D’ETAT AUSSI CONCERNÉES

Le nouveau texte comporte également des dispositions sur les ventes à découvert en général. Ainsi, un acteur de marché qui vendra à découvert une grande quantité de titres d’une entreprise (0,2 % du capital) ou d’un Etat (variable selon chaque Etat membre) devra en informer les autorités de supervision (en France, l’Autorité des marchés financiers).

La directive oblige aussi les opérateurs qui recourent aux ventes à découvert “à nu” sur les actions et les obligations d’Etat à fournir des garanties qu’ils pourront conclure la transaction. Concernant les ventes “à nu” d’actions, l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) aura le pouvoir de les interdire de manière coordonnée en cas de tension.

La France, l’Italie, l’Espagne, et la Belgique avaient ainsi proscrit, en août 2011, les ventes à découvert sur les valeurs financières, interdiction qui a pris fin le 11 février dernier pour l’Hexagone. Les autorités boursières espagnoles ont annoncé jeudi qu’elles prolongeaient, elles, l’interdiction pour une durée de trois mois.

CRITIQUES ET LIMITES

Certains opérateurs essaient de convaincre que cet effort de transparence sauvera la vente à découvert, qui profiterait à tous dans la mesure où elle apporterait une plus grande liquidité, c’est-à-dire la capacité à avoir des échanges plus fluides. Mais cet argument, s’il est reconnu dès l’introduction du texte européen, est battu en brèche par de nombreux économistes.

Sur l’aspect régulation, même une banque comme Natixis milite pour la nécessité de “rapprocher le gré à gré d’un marché organisé” ; “une centralisation systématique assurerait l’absence de risque de défaut de contrepartie et donc un risque systémique nettement moins important. Surtout il assurerait une transparence au marché (…) Cela permettrait ainsi d’avoir des informations plus fiables en termes de volumes, de la nature des positions et de leur origine évitant ainsi les théories du complot”.

Enfin, autre critique et non des moindres, le marché des CDS souverains (moins de 2 000 milliards de dollars) n’est qu’une petite partie de l’immense marché des CDS (30 000 milliards) et une partie encore plus infime de l’ensemble du marché des dérivés. Ce dernier, non régulé, comprend par exemple les titres sur les prêts hypothécaires américains (mortgage-backed securities, MBS). Mais ils ne sont pas concernés par la directive européenne puisqu’ils ne font pas partie des CDS souverains.

La taille du marché mondial des produits dérivés (monnaies, matières premières…) atteint aujourd’hui près de 700 000 milliards de dollars, soit plus de dix fois la taille de l’économie mondiale. Contre quoi se couvre-t-on à ce niveau-là ?

Le Monde

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