Contrastant avec l’image d’Epinal d’un pays où il fait bon vivre, les répercussions de la crise européenne frappent les catégories sociales les plus faibles. L’économie des Pays-Bas ralentit plus vite que les prévisions les plus pessimistes. Et le moral des Néerlandais est au plus bas. Dans ce contexte le nouveau gouvernement ne bénéficiera d’aucun état de grâce.
Un pays de cocagne, où tout abonde et où il fait bon vivre. Un pays dont le “modèle des polders” – modèle économique et social basé sur le compromis et la recherche permanente du consensus entre les différentes communautés – assure une richesse riante assortie d’une tolérance quasi-légendaire.
Un pays qui a su conjuguer des coutumes délicieusement désuètes – comme la saison des “maatjes “, les harengs dévorés crus lors de la première pêche de l’année – avec un sens aigu des affaires et un attrait indéniable pour la modernité.
Ces préjugés favorables sont renforcés dans notre imaginaire collectif par toute une série d’images d’Epinal qui n’ont que peu de choses à voir avec la réalité contemporaine: des champs de tulipes à perte de vue, la Hollandaise plantureuse qui sourit largement sur les boîtes de lait “Bébé hollandais” et les moulins à vent bleus sur fond blanc des carrés de Delft qui font la joie des brocanteurs.
Les préservatifs multicolores, les vitrines des prostituées d’Amsterdam et la décoration psychédélique des coffeeshops et de Maastricht complètent ce catalogue des clichés bataves dont Colin White et Laurie Boucke ont fait leurs délices dans le bestseller humoristique “The Undutchables“.
97 % de CDI en moins en un an
Pourtant, le quotidien de la plupart des Néerlandais ressemble de moins en moins à ces clichés usés jusqu’à la trame.
Alors que les spécialistes de l’emploi parlent des Pays-Bas avec des accents presque lyriques, vantant le taux le plus bas de chômage des jeunes ou l’intégration des plus âgés, les chiffres publiés récemment par les différents instituts économiques ramènent à plus de modestie.
Le dernier rapport de l’UVW – équivalent de Pôle Emploi – est alarmant : en 2011, le nombre de contrats à durée indéterminée signés durant l’année a baissé de 97 %, passant de 83.000 en 2010 à 2.000 l’année suivante. Un effondrement spectaculaire dont presqu’aucun média en Europe ne s’est fait l’écho.
Parallèlement, si le nombre de contrats à durée déterminée augmentait de 15 % passant de 422.000 à 486.000, ceux de plus d’un an faisaient un bond de 62 %.
Un tiers des offres d’emplois (34 %) exigeaient un niveau d’études supérieur, bachelier, master ou ingénieur. Mais dans les entreprises de plus de 100 travailleur, ce taux passe à 58%.
Une austérité qui pèse sur les plus fragiles
Ce que souligne surtout le rapport de l’institut, c’est – au sein d’une dégradation générale du marché – la fragilisation croissante des plus faibles : jeunes, travailleurs peu qualifiés, personnes âgées, femmes, immigrés, handicapés…
Ce sont les catégories les plus touchées par les retombées de la crise économique européenne. Même si on est encore loin des taux catastrophiques de la Grèce ou de l’Espagne, l’économie ouverte et presque entièrement dirigée vers l’exportation des Pays-Bas les expose particulièrement à la stagnation, si ce n’est à la récession, ailleurs en Europe.
Et les remèdes imposés par le gouvernement précédent – cure d’austérité, coupes claires dans les budgets sociaux, assouplissement du droit du travail pour rendre le marché du travail plus flexible – ont pesé lourdement sur les plus pauvres.
Alors qu’en Belgique, le gouvernement Di Rupo hésite à augmenter le taux de TVA d’un point – de 21 à 22 % – les Pays-Bas ont haussé le leur de deux points en octobre, passant de 19 à 21 %. La taxe sur l’assurance maladie a doublé, ainsi que les amendes sur les excès de vitesse. L’aide aux personnes dépendantes a été rabotée au point d’être vidée de sa substance.
ING licencie 2 350 personnes
Le nouveau gouvernement, à peine nommé (dirigé par le libéral Mark Rutte, il a prêté serment lundi 5 novembre), est déjà critiqué par la gauche pour ses mesures d’austérité et par la droite pour avoir lié le prix de l’assurance-maladie au niveau de revenu. Il est peu probable qu’il bénéficie d’un quelconque état de grâce.
En attendant, l’économie se dépêche de ralentir : les agences de voyages se désespèrent devant le nombre d’annulations pour les sports d’hiver, le secteur hôtelier boit une potion amère tandis que les employés croisent les doigts pour conserver leur emploi.
La banque ING se prépare à licencier 2 350 employés pour “épargner 460 millions d’euros” tandis que sa consœur SNS Bank propose à l’Etat de la recapitaliser en rachetant un subside octroyé il y a quatre ans…
Cerise sur le gâteau, le Bureau Central du Plan prévoit un recul du pouvoir d’achat de 25 % pour les retraités et de 30 % pour les bénéficiaires de l’aide sociale l’an prochain…
Même lors de la crise de 2008, le moral des Néerlandais n’a jamais été aussi bas. Il est, comme le pays, au-dessous du niveau de la mer.