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Le 18 octobre, après 34 jours passés à Moscou, l’hiver approchant, Napoléon, ne voyant pas de proposition de paix arriver et craignant de voir se briser les lignes de communication, se résout à quitter Moscou pour rentrer en France. La campagne de Russie, commencée le 22 juin et dont il ne doutait pas un instant de la réussite, tourne au cauchemar : 200.000 à 300.000 des hommes mobilisés en juin 1812 (600.000) trouvent la mort et beaucoup d’autres ne rentreront jamais (prisonniers, soldats qui firent souche en Russie).

I. Le début d’une retraite désastreuse

Le départ de Moscou a lieu le 19 octobre et Napoléon dispose encore d’environ 95.000 hommes. Les soldats sortent de la ville bien habillés, bien reposés, avec de nombreux convois de bagages, davantage remplis de butin que de provisions. Le maréchal Mortier quitte la ville en dernier avec ses 10.000 hommes. L’empereur, qui s’est laissé intoxiquer par la propagande russe, croit que l’hiver sera tardif et qu’il a du temps devant lui.

La Grande Armée se dirige d’abord au Sud pour passer l’hiver dans la riche province de Kaluga, mais Napoléon, qui ne semble pas avoir élaboré de plan précis, renonce à l’idée après la bataille indécise – et secondaire – de Maloïaroslavets. Koutouzov parvient à obliger les Français à reprendre la route du Nord, déjà ravagée à l’aller, où ils seront les plus vulnérables, et l’armée en retraite traverse à nouveau une partie du champ de bataille de la Moskowa encore jonché de morts offrant le spectacle affreux de corps en décomposition. Le butin ralentit la troupe, les vivres sont rapidement consommées et la disette se fait sentir. Les températures baissent rapidement et l’on se dispute les vêtements : beaucoup d’hommes portent ce qu’ils trouvent : des robes de chambre, des capes féminines en soie et caracos fourrés … Le manque d’herbe affaiblit les chevaux qui meurent pour une grande partie et sont consommés par l’armée.

L’hiver arrive tôt. A partir du 4 novembre, avec les premières neiges, la plupart des canons et fourgons de l’armée sont abandonnés, des milliers d’hommes désertent les rangs de l’armée pour trouver de quoi manger et se font massacrer par les paysans ou les cosaques qui harcèlent les flancs des Français ; seules la Garde et l’arrière-garde restent à peu près disciplinées. Le 7 novembre, quand l’armée atteint Smolensk, la température a chuté à -22 °c. Entre Smolensk et la Bérézina, les Français doivent mener deux batailles contre les Russes : Smoliani (13-14 novembre, issue indécise) et Krasnoï (15-18 novembre, victoire russe).

II. Le passage de la Bérézina et la bataille

La Bérézina - Klein
Gravure de Johann Adam Klein, Passage de la Berezina par l’armée française.

Le 22 novembre, la Grande Armée apprend que les Russes ont coupé sa retraite sur la Bérézina. L’amiral Tchitchagov attend près du fleuve avec 34.000 hommes alors que les généraux Koutouzov et Wittgenstein sont sur les talons des Français avec respectivement 80.000 et 30.000 hommes. Un dégel inattendu a fait fondre la couche de glace recouvrant habituellement le fleuve. Les trois généraux russes tentent d’encercler l’armée bloquée sur la Bérézina, mais ne réussissent pas à se coordonner et sont ralentis par les boues, laissant du temps aux Français. Le général Corbineau trouve un gué près du village au Nord de Borisov.

Le 26 novembre, le général Jean-Baptiste Eblé se jette en premier à l’eau pour montrer l’exemple à ses hommes, et les quelques 400 pontonniers parviennent de façon héroïque – beaucoup meurent de froid dans l’eau glaciale – à construire deux ponts de 90 mètres. Environ 50.000 hommes passent les ponts les 27, 28 et 29 novembre sous la protection des Polonais, affolés par la menace russe qui se précise. Le corps d’Oudinot atteint l’autre rive en premier. Celui de Davout, le plus discipliné, passe le fleuve dans un ordre parfait, tambours en tête.

Pendant ce temps, le 2e corps du maréchal Victor, de 10.000 hommes, constitue un rideau défensif face aux armées de Wittgenstein et Tchitchakov. Ce corps d’armée a beaucoup moins souffert que les autres, et les régiments de cavalerie comptent encore en moyenne 500 chevaux. Le 28 octobre, Victor livre bataille à Wittgenstein pour maintenir le libre accès aux ponts avant de les passer. De l’autre côté du fleuve, Tchitchakov engage une bataille le 28 novembre. Les armées s’opposent d’abord dans une forêt de pins mais la résistance française est trop forte et les Russes se replient hors du bois. Les charges des régiments de cuirassés de Doumerc permettent d’écarter définitivement les Russes qui ont perdu 3000 hommes et 2000 prisonniers.

Jean-Baptiste Eblé
Jean-Baptiste Eblé (1758-1812).

Du mauvais côté du fleuve, des milliers de trainards, exténués et découragés, quand ils n’ont pas tout simplement perdu la raison, restent près d’immenses feux et refusent obstinément de rejoindre l’armée de l’autre côté. Le 29 au matin, Eblé met le feu aux ponts pour empêcher les Russes de les emprunter. A l’approche de ces derniers, des milliers de trainards français tentent de gagner, dans une panique totale, l’autre côté du fleuve et se noient tandis que plus de 10.000 autres sont massacrés par les cosaques.

Il reste à Napoléon 25.000 combattants et 30.000 non-combattants, mais il a échappé à l’encerclement et peut continuer sa retraite vers l’Ouest, en direction de Vilna (Lituanie). Le 5 décembre, ayant appris le coup d’Etat du général Malet qui le fait passer pour mort, il abandonne son armée pour rejoindre au plus vite Paris afin de se montrer vivant et lever de nouvelles forces en prévision des combats à venir. Les rescapés, sous le commandement de Murat, atteignent Vilna le 8 décembre. Le 14 décembre, moins de 30.000 hommes repassent le Niémen et peuvent enfin se sentir en sécurité, au moins provisoirement. Eblé meurt d’épuisement le 31 décembre à Königsberg.

III. La Bérézina : victoire ou défaite ?

La bataille de la Bérézina est resté le symbole de la défaite désastreuse à tel point que le mot de Bérézina devint synonyme de « déroute », pourtant elle constitue malgré tout une victoire militaire au milieu d’une retraite catastrophique : les Français, largement inférieurs en nombre, en terrain hostile, démoralisés, affamés, purent franchir le fleuve, repousser les Russes et continuer leur retraite, évitant ainsi l’anéantissement total. L’épisode de la construction des ponts reste comme héroïque. La grande majorité des pertes provient des trainards fantomatiques – condamnés à l’avance – massacrés par les Russes sans livrer bataille, ce qui contribua à gonfler le bilan des pertes et donner l’impression d’une victoire russe.

Quant à la campagne de Russie, prise dans son ensemble, elle se révèle désastreuse : en moins de six mois la Grande Armée a disparu et les contemporains ont en conscience. Si une grande partie des hommes des ailes de l’armée reviennent, ils le doivent à des conditions climatiques moins dures et au fait d’avoir été épargnés dans les combats. Quant à l’armée centrale, forte au départ de 400.000 hommes, elle a perdu 95 % de ses effectifs ! Cette perte irréparable permet aux Anglais et aux patriotes antifrançais de toute l’Europe de relever la tête. Mi-décembre, le général Berthier conclut un rapport adressé à Napoléon en écrivant « L’armée n’existe plus ».

Bibliographie :
BALDET Marcel, La vie quotidienne dans les armées de Napoléon, Paris, Hachette, 1964.
FIERRO Alfred, PALLUEL-GUILLARD André, TULARD Jean, Histoire et dictionnaire du Consulat et de l’Empire, Paris, Laffont, 1995.
ROTHENBERG Gunther E., Atlas des guerres napoléoniennes, 1796-1815, Paris, Autrement, 2000.

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