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Victime de la désindustrialisation des années 1970 et 1980, le quartier ouvrier de Calton, à Glasgow, cumule les records négatifs en terme de chômage, d’espérance de vie et de revenu par habitant. Et les coupes dans les dépenses sociales ne laissent pas beaucoup d’espoir d’amélioration.

Un vent âpre traverse Calton, chassant devant lui des sacs en plastique et autres détritus. Les bâtiments délabrés aux fenêtres condamnées se succèdent dans le quartier. Dans Stevenson Street, une mère adolescente pousse un landau d’un pas traînant. Elle entre chez un marchand de journaux puis en ressort quelques instants plus tard, un paquet de cigarettes à la main. La rue est presque déserte. Seul le Calton Bar donne quelques signes de vie : vers midi, une poignée de clients y sont déjà en train de boire leur première pinte.

Autrefois Calton était un quartier animé, le cœur industriel de l’ouest de Glasgow. De grandes aciéries aux cheminées fumantes dominaient les logements ouvriers. Au People’s Palace donnant sur Green Park, on peut se faire une idée de ce qu’était la vie locale il y a une cinquantaine d’années. Calton était un quartier ouvrier type.

Les photos en noir et blanc qui y sont exposées montrent les appartements exigus où plusieurs familles devaient partager les mêmes toilettes. Non, les habitants de Calton n’ont jamais connu le confort. Mais à l’époque, le travail ne manquait pas.
Au centre commercial pour se réchauffer

George Robertson, un habitant de Calton de 67 ans, garde de vifs souvenirs de cette période. “J’avais vingt ans et mon premier emploi, c’était à l’aciérie. On trouvait facilement du travail. J’ai été balayeur, maçon et plus tard métallo. Maintenant, il ne reste plus rien”, raconte-t-il dans un sourire amer, montrant les vestiges de la distillerie Johnnie Walker (fondé en 1887).
L’aciérie Parkhead Forge, un peu plus loin, est la dernière dans l’ouest de Glasgow à avoir fermé ses portes. Premier employeur de la ville autrefois, elle exportait de l’acier dans le monde entier. Elle a été remplacée par un centre commercial qui vend quantité de produits fabriqués en Asie. Ici, tous les bancs sont occupés par des personnes âgées qui boivent une tasse de thé bon marché. Elles ne sont pas venues faire des courses mais profiter de la chaleur, ce qui leur permet d’économiser sur leur facture de chauffage à la maison.
La “fuel poverty” [précarité énergétique] est même devenue un concept en Grande Bretagne : quand on consacre plus de 10 % de ses revenus à sa facture énergétique, c’est un signe de pauvreté. Du fait de la mauvaise isolation des maisons, de la hausse des prix de l’énergie et de la faiblesse des revenus, cette catégorie de la population est surreprésentée dans cette partie de l’Écosse.
Le déclin industriel a fait de Calton une sorte de puisard de la Grande-Bretagne. Un quartier déshérité où presque un habitant sur cinq n’a pas d’emploi et où la moitié de la population dépend de l’aide sociale. Avec le chômage massif sont venues la pauvreté, la dépression, l’alcool, les drogues, les suicides, la violence, les mauvaises habitudes alimentaires. “La toxicomanie, le surpoids, les maladies cardiovasculaires, la bronchite, Calton bat les records dans tous les domaines”, résume Robert Jamieson. Médecin généraliste depuis plus de 25 ans dans le quartier, il mène un combat permanent contre les gigantesques problèmes de santé. “Sur le plan médical, c’est sans doute le quartier qui est le plus mal en point de tout le monde occidental.”
Les problèmes de santé conjugués à l’extrême pauvreté se révèlent un cocktail fatal. L’espérance de vie moyenne est de 53 ans pour un homme à Calton, comme en témoignent les chiffres glaçants des services de santé publique. Si Calton était un pays, il se situerait au 168e rang dans le classement mondial, entre le Kenya et le Congo.
“S’il y a bien un endroit où la pauvreté est totale, c’est ici. Ce quartier connaît les plus graves problèmes de santé de tout le pays et les revenus par foyer sont les plus faibles de toute la Grande-Bretagne. Les enfants qui grandissent ici ont peu d’espoir. Quand ils postulent pour un emploi, quelles sont les chances des jeunes de l’obtenir ? La plupart du temps, ils n’ont pas la bonne formation ni de vêtements corrects pour les entretiens d’embauche. Les employeurs regardent le code postal sur le formulaire de demande d’emploi et voient d’où ils viennent. Ils savent qu’ils peuvent faire une croix dessus”, explique Robert Jamieson.
Des familles au centre d’accueil
Si Calton est le puisard, le Mary Trust en est le couvercle. Dans ce centre d’accueil pour les sans-abris échouent le soir les épaves humaines ballotées pendant la journée entre les rues et les porches de l’ouest de Glasgow. La ville compte plus de 10 000 sans-abris, dont une bonne partie à Calton ou dans les environs. Ces derniers temps, le Mary Trust est encore plus bondé. L’an dernier, le centre d’accueil a aidé 2 000 sans-abris, 25 % de plus qu’en 2010.
Le quartier connaît des difficultés depuis des dizaines d’années, mais la récession et les mesures de rigueur prises par les pouvoirs publics n’ont fait qu’aggraver la situation. Les pouvoirs publics ont sensiblement réduit les allocations logement et les jeunes chômeurs ne peuvent plus prétendre à une allocation chômage. “Cela fait déjà quinze ans que je travaille ici”, dit Martin Johnstone du Mary Trust, “mais ces deux dernières années ont été les plus rudes. Récemment, nous avons même vu arriver ici des familles, ce qui est très inhabituel”.
Des demi-mesures ont été prises pour insuffler une nouvelle vie au quartier, mais les pouvoirs publics n’ont pas l’air de s’intéresser à Calton. De Margaret Thatcher à Tony Blair inclus, pendant trente années, la Grande-Bretagne n’a pas eu de politique industrielle, elle a laissé les usines se délocaliser en Asie et donné le champ libre au secteur financier, avec tous ses excès et ses primes exorbitantes.
Peut-on encore sauver Calton ? Robert Jamieson est sombre : “Est-ce que nous avons vraiment envie de vivre dans un pays où il existe des différences aussi marquées ? Nous pensons souvent qu’il n’y a pas d’agitation sociale ou d’émeutes en Grande-Bretagne, mais regardez ce qui s’est passé dans les rues de Londres l’an dernier. Ou ce qui a lieu en Grèce et en Espagne. Dans l’histoire de l’Europe, nous avons souvent vu ce qui se produit quand le fossé entre les nantis et les démunis devient trop grand.
Presseurop

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