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Fdesouche publie de temps à autres les meilleurs commentaires de lecteurs. Nous publions aujourd’hui – avec son accord – ce commentaire particulièrement touchant et lumineux de notre lecteur ‘Terroir’ .
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On vomit les Régions de France sur les antennes du lundi au vendredi 17h. Et on les adore les samedi et dimanche.
Ces animateurs ou journalistes qui s’amusent à cracher sur tout ce qui ressemble à un terroir sont les mêmes qui s’y précipitent en weekend, dans leurs résidences secondaires ou chez des amis, qui pour le coup, leurs paraîtront être des amis vraiment très chers.
Ce sont ces mêmes là qui, une fois arrivés sur les lieux, pousseront un grand « Ouf » à l’idée d’avoir quitté ce Paris que, pour l’occasion de cette mise au vert, ils qualifieront d’enfer.
Une fois allumé le poêle en pierre, ce bon vieux poêle de chauffage qui, décidément, fleure vraiment bon la France d’antan, ils ouvriront les placards d’une cuisine rustique. Attablés autour d’une belle table en chêne massif, ils dégusteront l’un de ces plats locaux estampillés « produit du terroir », ce terroir qu’ils traînaient pourtant dans la boue quelques heures auparavant dans leurs rédactions.
Une nuit dans une chambrée à la vue imprenable sur cette si belle campagne, que l’on aura pourtant, pendant la semaine, assimilée à une France ringarde et renfermée sur elle-même.
L’excitation du matin est à son comble : vivement entendre la boulangère nous appeler par notre nom de famille, un brin flatteuse, mais tellement « couleur locale ». Dieu que ça fait du bien. On l’aime la boulangère. Quand même, ces artisans de village, qu’est-ce qu’ils sont attachants !
Sur la place, samedi matin, c’est le marché. Là, on ne plaisante pas. On ne loupe pas ce rendez-vous. Ces petits producteurs arracheraient presque une larme tellement leur accent rocailleux et leur simplicité sont touchants. On a beau dire, la France, c’est prenant. Les œufs de La Mère Lapouche, le petit fromage de vache du Père Terrier, quelle merveille. Ces « paysans », qu’est ce qu’on les aime.
Le déjeuner a passé : on s’est engraissé des meilleurs plats régionaux avec une volupté incomparable. L’armagnac ou le calvados de 25 ans d’âge, offerts par le fermier voisin (celui qu’on aura qualifié de simplet voire même de bouseux dégénéré sur la période du lundi matin au vendredi 17H), se seront laissés déguster devant la cheminée dont la plaque du fond, toute en fonte, mentionne la date 1870. Qu’est-ce qu’on est fier d’avoir une page d’Histoire à la maison.
Pour digérer au mieux, rien ne vaut cette si jolie ballade : le petit sentier qui jouxte l’église romane conduira au creux de cette vallée qu’on aime tant. Les yeux levés vers le clocher : « Quel beau patrimoine, une merveille ». Pourvu qu’on n’y touche pas.
Trois jours auparavant, sur un plateau télé ou à travers un micro, on aura vomi en parole sur les biens immobiliers de l’Eglise.
Par chance, on croisera le beau-frère du boucher : son jardin potager regorge de trésors. Avec un peu de chance, un brin de causette avec lui sera productif et on repartira à Paris le coffre rempli des légumes. Ils sont encore pleins de terre. Séquence émotion.
Et l’on vivra ainsi jusqu’au dimanche soir, au rythme d’une France rurale, courageuse, émouvante, accueillante, parfois bouleversante. On s’y sent bien, « chez nous ». Les vraies valeurs, les voila. Dans la voiture, on se dira, entre conjoints : « vivement le weekend prochain ».
Lundi matin, au bureau, dans la salle de rédaction, à l’antenne, dans les pages du journal qui nous emploie, ces terroirs de la veille seront curieusement devenus des symboles : ceux d’une France étriquée, rancie, voire nauséabonde. « Travail-Famille-Patrie » et Régions de France seront accouplées.
Mais, tout de même : « Vivement vendredi prochain, 17h ».
De notre lecteur ‘Terroir’
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Complément

« Bien sûr, nous sommes résolument cosmopolites. Bien sûr, tout ce qui est terroir, béret, bourrées, binious, bref, ‘franchouillard’ ou cocardier, nous est étranger, voire odieux. »
Bernard-Henri Lévy, 1985, Edito, dans Globe.

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