Le projet de loi bancaire dévoilé par le JDD sera présenté dans dix jours. Pas de scissions prévues, mais la Banque de France verra ses pouvoirs de contrôle renforcés.
L'”ennemi invisible” ne disparaîtra pas. Six mois après le discours enflammé au Bourget du candidat Hollande contre la finance, le ministre de l’Économie Pierre Moscovici présentera, mercredi 19 décembre, en conseil des ministres son projet de loi bancaire. Une double lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat suivra au printemps. Mais le texte ne sera pas appliqué avant 2014. Ce calendrier place, néanmoins, la France en pôle position face aux projets toujours en débat sur le même thème aux États-Unis (commission Volcker), en Grande-Bretagne (commission Vickers). Le texte français va même plus loin que les recommandations du récent rapport Liikanen, commandé par Bruxelles. Le JDD en livre les grandes lignes.
8 milliards de plus pour un fonds de secours
L’idée que l’argent public ne soit plus le dernier recours en cas de faillite va obliger les banques à se soutenir entre elles. La future loi bancaire actera l’élargissement du fonds de garantie des dépôts.Il couvrira à la fois l’épargne des Français à hauteur de 100.000 €et le capital des banques en cas de défaillance. Aujourd’hui, il est doté de 2 milliards d’euros. Un arrêté le portera à 10 milliards comme le recommande le Parlement européen. Les banques françaises auront dix ans pour mettre de côté 8 milliards afin d’abonder ce fonds.Elles devront prendre en charge un dépassement mais sans devoir verser les fonds au préalable. Les banques sont réticentes à financer les erreurs de leurs concurrentes.Mais Bercy jure qu’il ne s’agira pas “d’un puits sans fond qui risquerait de couler les autres banques”.
La mise à l’écart des seuls métiers spéculatifs
Pionnier mais pas révolutionnaire, le gouvernement n’envisage pas une franche découpe des banques françaises. Les activités de marché destinées aux clients (entreprises, États, collectivités…) resteront en leur sein. Le premier volet du projet de loi prévoit la mise à l’écart des seuls métiers spéculatifs. Ils seront logés dans une filiale spécifique pour protéger les dépôts des épargnants. Cette mesure touchera quelques centaines de traders, pour l’essentiel à BNP Paribas et à la Société générale et, à un degré moindre, au Crédit agricole ou chez Natixis (groupe BPCE). Mais même pour les deux premiers établissements, ces métiers ne devraient représenter que 2 à 3% de leurs profits.
“Par rapport aux messages envoyés pendant la campagne, nous sommes plutôt soulagés de voir que le gouvernement souhaite garder des banques solides”, convient un dirigeant de banque.
De lourdes contraintes financières viseront à “décourager les banques de continuer à faire du trading“, confie un proche de Pierre Moscovici. Ce ne sera plus aussi rentable et les banques hésiteront à conserver l’activité. Mais Bercy a voulu garder ces compétences pour alimenter les marchés clés du financement des entreprises et surtout de l’État. Avec 170 milliards d’euros à lever sur les marchés en 2013 et une croissance zéro, la France a plus que jamais besoin de ses banques pour se financer. “Le projet de loi préserve l’émission de dettes d’État qui auraient pu être exercées par les banques anglo-saxonnes, note Ariane Obolensky, directrice générale de la Fédération bancaire française. C’est une question de souveraineté.“
Les hauts fonctionnaires du Trésor ont misé sur la prévention plutôt que sur l’intervention. C’est le sens du deuxième volet de la loi. Selon nos informations, un vaste chantier, appelé “résolution“, consistera pour les banques à préparer à l’avance leur “testament” en cas de faillite. “En 2008, il manquait à plusieurs banques un plan d’évacuation pour échapper à l’incendie, illustre un cadre de Bercy. Il faut anticiper ce découpage.” La disparition de Dexia, en juillet dernier, est encore dans toutes les têtes. Les longs mois de discussions avec les Belges ont failli tourner à la catastrophe. La mort d’une banque sera désormais prévue de manière ordonnée.
Des pouvoirs inédits pour la Banque de France
Pour superviser ce projet et la sortie des activités spéculatives des banques, le gouvernement a voulu donner davantage de pouvoirs au régulateur, érigé en véritable gendarme du système. Troisième volet, le renforcement de la surveillance bancaire est le plus majeur. La Banque de France obtiendra des pouvoirs inédits via son Autorité de contrôle prudentiel.
“On aura le régulateur le plus puissant d’Europe“, peste un banquier. Dans les banques, on s’agace déjà à l’idée de voir la Banque de France gagner des pouvoirs d’intervention et d’interdiction qu’elle n’avait pas auparavant. Jusqu’ici, elle ne pouvait qu’avertir le gouvernement des défaillances. Elle pourra désormais forcer une banque à agir et outrepasser les droits des actionnaires. Ses dirigeants notent qu’avec de tels pouvoirs, ils auraient pu éviter le sauvetage public du Crédit immobilier de France (CIF) en nommant un administrateur provisoire pour stopper sa fuite en avant.
Les banques s’énervent d’autant plus que leur superviseur aura un pouvoir d’intrusion extrêmement fort. Il calibrera la taille des risques et des investissements sur les marchés de chaque activité. “La Banque de France devra déterminer le rôle de chaque trader pour s’assurer qu’il n’y a pas de spéculation déguisée“, insiste-t-on au ministère des Finances. Un dernier pare-feu sera constitué par la création d’un ” conseil de stabilité financière” au printemps. Regroupant les différents organes de contrôle du système financier (Bourse, banques, assurances…), il sera présidé par le ministre Pierre Moscovici.