David Manise (debout), instructeur de survie, et ses stagiaires, le 14 novembre 2012 à Azay-le-Rideau (Indre-et-Loire).
Ici, personne ne croit à la fin du monde selon le calendrier maya, le 21 décembre 2012. D’ailleurs, tous les stages affichent complets bien après cette date. Mais ça n’empêche pas les élèves, la plupart des adeptes de sport au grand air, d’être très concentrés.
“Le monde est de plus en plus instable écologiquement et politiquement”
“Le coton est une véritable clim’portative”, “le polyester est hydrophobe”, ou encore “il ne faut pas rouler son sac de couchage quand on le range, ça casse la fibre et provoque des ponts thermiques”. Tassés sur deux bancs autour d’une table en bois massif dans une salle de chasse non chauffée, les quinze stagiaires, dont une seule fille, prennent soigneusement des notes, sous le regard impassible de cerfs empaillés.
Face à eux, l’instructeur de survie, David Manise, 37 ans, crâne rasé, bouc brun fourni, un mètre de large sur presque deux de haut, débite son cours avec un sympathique accent canadien. Constamment en mouvement dans sa chemise de bûcheron à carreaux gris sur tee-shirt bleu foncé, il note des listes sur le tableau blanc et enchaîne blagues et anecdotes pour nourrir ses points techniques.
“J’ai grandi dans la laine”, raconte-t-il, les yeux brillants à l’évocation de son enfance au Québec par – 40°C. Il en tire sa légitimité. L’idée d’organiser de tels stages lui est venue lors d’une discussion avec des collègues, de retour d’un trek dans l’Himalaya dont ils n’avaient pu profiter faute de bons conseils. Des “tuyaux basiques” pour ce père de famille habitué aux conditions extrêmes.
C’est notamment ce qui intéresse Léo, 23 ans, concerné par “tout ce qui permet de combler tous nos besoins avec le moins possible”. “Le monde est de plus en plus instable écologiquement et politiquement, je m’en fiche de ce qu’il peut se passer, mais j’aime bien l’idée de pouvoir me débrouiller seul avec ce que j’ai”, confie le timide jeune homme qui travaille dans “l’intervention artistique”, une boucle d’oreille en forme de rondin de bois dépassant de son gros bonnet bleu. D’ailleurs, dès la fin du stage, il compte bien commencer à habituer son corps au froid, en réduisant progressivement le chauffage chez lui.
“J’ai testé tout ce qui était comestible, la punaise, c’est non“
Reconnaître son degré d’hydratation dans ses urines, gérer son absorption d’eau, pas plus de 700 ml/heure pour “ne pas pisser 70% de l’eau que vous avez mis peine et misère à filtrer”, évaluer son environnement pour savoir où trouver de l’eau mais aussi comment faire un point de compression sur une blessure avec un paquet de mouchoirs, tout y passe. Avec quelques conseils de bon sens : ne mettez dans votre trousse de premiers secours que les choses que vous savez utiliser.
Lorsqu’une punaise se fraye un chemin entre les cahiers sur la table, provoquant un peu de brouhaha, David Manise lance, mi-sérieux mi-moqueur : “J’ai testé tout ce qui était comestible, ça, ça ne l’est pas.” Régulièrement, il calme les velléités “warrior” de certains stagiaires, particulièrement celui qui, en treillis, se trimballe “toujours avec un Bic pour faire des trachéotomies”.
Premier exercice pratique pour les stagiaires : monter son abri à la tombée de la nuit.
Après trois jours essentiellement théoriques, les quinze étudiants en survie vont appliquer leurs nouveaux savoirs en forêt tourangelle, franchement humide, au froid bien pénétrant. “Oh le beau tarp, il a de la gueule ce truc”, s’exclame Élodie, 27 ans, col roulé rouge assorti à son bonnet à pompon en regardant cette bâche tendue entre trois bouts de bois glanés.
Après une dizaine de minutes à s’emmêler les pinceaux pour faire, à la lueur d’une lampe frontale, un nœud qui tienne la route, elle admire le refuge qu’elle partagera cette nuit avec son copain. Tous deux ne sont pas tout à fait novices en terme de survie, ils ont déjà participé à un “stage de plantes sauvages et comestibles”.
“Moins compter sur la technologie“
Quelques chênes plus loin, Thomas*, jeune gendarme de 26 ans, a lui aussi réussi à tendre sa bâche. A l’aise. Il est là pour “faire connaissance avec des techniques”. Mais “survie c’est un bien grand mot, c’est plus apprendre à rester en vie que de la survie spectacle”, précise-t-il en songeant aux émissions de télé où des aventuriers découpent un serpent avec les dents pour s’en faire une outre.
Rien de tel à Azay-le-Rideau. Mais les ateliers ne sont pas évidents pour autant. Boris, 36 ans, technicien en bâtiment venu de la région d’Aix (Bouches-du-Rhône), en est à son 4e stage de l’année. Féru de sorties nature en tous genres, il veut “gagner en autonomie”. “Un objet pour tout et moins compter sur la technologie”, résume-t-il tout en montrant comment filtrer de l’eau souillée à l’aide d’une bouteille en plastique et d’un mouchoir. Il n’est pas survivaliste.
Mais “être un peu prévoyant, stocker un peu de bouffe, toujours avoir trois packs dans son garage au cas où”, ça oui. “C’est mieux que d’aller faire la queue comme un con dans un gymnase” en cas de catastrophe naturelle, explique ce grand gaillard souriant.
A genoux en train de couper, à la frontale toujours et avec un simple couteau, du bois en brindilles, Christophe acquiesce. Petites lunettes, cheveux mi-longs et polaire grise, cet informaticien cherche à savoir “se débrouiller sans eau, sans électricité” histoire de “ne pas rentrer dans la panique et garder la tête froide”.
Le soir, le stage, 475 euros les cinq jours sans logement ni nourriture (les stagiaires sont priés d’en apporter), vire au camp scout. David Manise donne son mode d’emploi pour réussir à faire du feu : “les brindilles doivent être assez proches pour se toucher, et assez loin pour pouvoir respirer, comme avec les femmes, quoi”.
Près des flammes, les cols roulés tombent et les polaires s’ouvrent, chacun se refile des tuyaux sur la lyophilisation de la nourriture ou la conservation en sachet congélation, alors que circulent les saucissons, la viande des Grisons et les graines de toutes sortes. Les plus ingénieux se sont confectionné un réchaud maison dans une boîte de conserve tranchée horizontalement et au fond de laquelle flambe de l’alcool à brûler, d’autres font rôtir des petits pains au bout de brindilles préalablement taillées.
“Plus de la moitié des stagiaires sont des néophytes“
Le camp des stagiaires “survie” dans la forêt près d’Azay-le-Rideau (Indre-et-Loire), au petit matin, le 15 novembre 2012.
L’instructeur, la-première-fois-que-j’ai-dormi-dans-les-bois-avec-une-machette-j’avais-7-ans, organise une trentaine de stages par an depuis cinq ans. Il peste contre “les instructeurs autoproclamés qu’on a vus sortir du buisson cette année et qui surfent sur la vague”, tout en reconnaissant “une lame de fond”, un intérêt croissant du grand public pour la survie.
“Les premiers néophytes sont arrivés il y a deux ou trois ans, et maintenant ils constituent plus de la moitié des stagiaires, avec un boum particulier cette année”, concède-t-il, tout en sortant son mini-réchaud pour se faire son dixième café de la journée, à déguster dans une tasse de poche de sa fabrication en plastique kaki.
Dans l’épaisse brume blanche du petit matin, les stagiaires ont les yeux collés. Même l’instructeur, assis en tailleur sous une grande bâche et pourtant multi-emmitouflé, “s’est caillé les miches”. Mais ils sont plutôt satisfaits de l’expérience. Excepté celui qui regrette d’avoir laissé sa gamelle de coq au vin près de sa tête. Et celui qui s’est à ce point “gelé” qu’il a fini par “pisser dans une bouteille pour s’en faire une bouillotte”.
Immédiatement, l’anecdote permet à David Manise de glisser une astuce : si bouillotte il y a, il faut la mettre entre les cuisses afin de réchauffer l’artère fémorale, qui va jusqu’au bout des pieds. Notent, notent les stagiaires, qui, le soir suivant, devront dormir avec pour seul sac de couchage leur couverture de survie argentée.
France TVinfo