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Depuis plusieurs mois, plusieurs années, revient dans la bouche de certains, sous la plume des mêmes, un mot, lancé rapidement : “roumain”.

Quand le mot s’orne d’une majuscule, le “Roumain” fait la manche, quête dans le métro, tend la main pour assouvir son vice, pour demander ce que le monde lui refuse.
Quand il s’ouvre par une minuscule, l’adjectif désigne tout à la fois – c’est le propre de la stigmatisation – le pauvre, l’importun, le reclus et l’exclu.

Ainsi, il y a quelques jours encore, Mathieu Madénian, un comique et non pas un comédien – le premier exemptant aujourd’hui d’être le second – recourut-il dans l’émission “C’est à vous” du 2 janvier à la locution de “chien roumain” pour suggérer de la bête son caractère innommable. (…)

Pas un spectacle, une saillie, une intervention sans que soit raillé “le Roumain”, affublé des maux les plus sordides, des mots les plus écoeurants, que l’on songe aux sorties de Jamel Debbouze à propos du footballeur roumain mendiant le ballon dans son spectacle “Tout sur Jamel”, du Comte de Bouderbala dans son sketch sobrement intitulé “Les Roumains”, d’Anne Roumanoff avec son canular sur la Roumaine et la Journée du patrimoine diffusé sur Europe 1 le 18 septembre 2010, de Jonathan Lambert à propos du salut roumain dans l’émission “On n’est pas couché” du 17 avril 2010.
Cela s’appelle non pas rire de, mais se moquer. Se moquer de et se moquer avec. Car ce rire n’est plus sous cape, il s’affiche, il s’esclaffe, ici à la radio, là à la télévision, certain de son effet. Ce rire demande audience et on lui donne tribune.
Il entend remporter publiquement les suffrages, trouver dans le rire de l’autre non seulement le consentement mais aussi l’assentiment. C’est un rire qui ne sait rien de la cruauté, de l’insolence. C’est un rire qui cherche l’approbation générale, l’applaudissement du plus grand nombre.
C’est le rire de l’impertinence, nous dit-on. Sans doute, si l’on considère le suffixe “im-“ comme privatif. C’est un rire haut et fort, qui rit de sa lâcheté partagée, qui se rassure par sa hauteur et par sa force.
C’est un rire insupportable qui cherche à rassembler les suffrages, qui colporte et qui propage, qui rit de colporter et qui rit de propager. Un rire qui fait jouir les semblables d’être semblables par la seule contemplation des dissemblables. Un rire qui rit d’unir sur la désunion.

L’habitant de la Roumanie est donc devenu l’objet de ces ricaneurs, de ces moqueurs impénitents. Quand le blanc de la peau des victimes exonérerait nos clowns de tout racisme ethnique, l’inclusion de ceux-ci dans l’Europe préserverait ceux-là de tout mépris social. (…)

Le Monde

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