Beaucoup de Marocains ignorent qu’ils sont africains. Même quand ils connaissent les tracés de la géographie, les arcanes de l’histoire, les incessants ballets de la diplomatie souterraine, les secrets de la haute finance et de la coopération économique, et deux ou trois slogans tirés du discours officiel. Ils ignorent qu’ils sont africains même s’ils savent qu’ils le sont. Ils le sont et ils ne le sont pas à la fois. L’hémisphère gauche de leur cerveau leur rappelle qu’ils sont africains, et le droit leur dit : tu parles ! Vous me suivez ?
Pour expliquer cette incroyable anomalie, je vous propose deux pistes de réflexion. La première nous mène… à l’esclavage. Oui.
Les sociétés arabes et musulmanes ont été les dernières à se défaire de ce terrible reliquat des temps anciens.
Il en restera toujours quelque chose. L’organisation tribale, clanique, extrêmement stratifiée, des castes et des classes sociales, ralentit l’émancipation mentale et nous maintient, quant à nous, dans des schémas où la couleur de la peau joue un rôle important : celui qui est plus clair (européen, nord-américain) est supérieur, le plus foncé (noir africain) est inférieur. Les deux versants renvoient à la même conception du monde et prolongent la hiérarchisation de la société esclavagiste : les blancs tout en haut et les noirs tout en bas. Les uns et les autres n’appartiennent pas à la même terre même s’ils y sont nés et y ont vécu ensemble.
La deuxième piste de réflexion que je vous invite à explorer s’appelle… le berbérisme. Et son pendant : l’arabisme. Il n’y a que chez nous que berbérité et arabité ont été si longtemps opposées que l’une a été pensée comme le contraire de l’autre, voire sa négation. L’histoire de l’islam est très courte par rapport à l’histoire du monde. Elle est récente. La conquête de l’islam n’a pas été simplement idéologique puisque des hommes sont venus d’Arabie pour s’installer en terres berbères.
De cette invasion-domination est née une confusion que nous vivons encore de nos jours : le sentiment, voire la conviction, que nos “frères” n’habitent pas nos terres, notre continent, mais l’Arabie. (…)