Depuis trois jours, les manifestations dans l’île pour demander des contrats aidés dégénèrent, notamment dans la ville du Port.
«Je ne vois pas pourquoi ça se passerait bien ce soir…» Dans son bureau de la mairie du Port, mercredi en fin d’après-midi, le secrétaire général Alain Moreau ne se fait guère d’illusions. Depuis trois jours, la ville de l’ouest de La Réunion est la proie des émeutiers. Jeunes et moins jeunes, sans emploi, réclament un contrat aidé à la collectivité. Faute de l’obtenir, ils ont brûlé la nuit dernière la mairie annexe du quartier de la Rivière-des-Galets, vandalisé un PMU et volé une centaine de bouteilles de gaz dans une station-service. Les forces de police ont affronté durant des heures des bandes cagoulées, armées de cocktails Molotov et de cailloux, et interpellé quatorze individus (vingt-deux depuis lundi).
Le préfet, guère optimiste sur la suite des événements, a demandé des renforts à Paris, alors qu’une quarantaine gendarmes mobiles sont arrivés dans la journée de Mayotte, l’île voisine.
«Si rien ne change, faut démolir !»
Jean-Bob, 16 ans, casquette rouge de travers, dit comprendre l’attitude de ses camarades. «Si rien ne change, faut démolir! Sans violence, personne ne réagit!», lance l’adolescent juché sur son VTT, avenue Rico-Carapaye, lieu des échauffourées de la veille. En stage dans une entreprise de construction métallique, il doute que son bac pro lui permette un jour de trouver du travail. Emergeant de la cité Emile-Zola, un ensemble d’immeubles orange, Lionel ne peut, lui, se targuer d’un diplôme. Si le Portois de 27 ans avait un CV, il ne pourrait y inscrire qu’une formation en maintenance et hygiène des locaux, un CDD de trois mois…et quelques condamnations. Tongs bleues aux pieds, ce bénéficiaire du RSA (Revenu de solidarité active) n’est pas surpris par les actes de guérilla urbaine: «L’avenir n’avance pas, on s’ennuie à longueur de journée. Si on avait du travail, la guerre serait finie!» (…)
C’est là la particularité de ce département d’outre-mer, marqué par un chômage endémique de plus de 30%, et de 60% chez les moins de 25 ans…
Faute de véritable tissu industriel, les chômeurs se tournent vers les collectivités pour quémander un CAE (contrat d’accès à l’emploi) ou un CUI (contrat unique d’insertion). Or l’Etat, qui alloue ces contrats aidés, n’en a délivré que 9000 à La Réunion pour le premier semestre 2013, contre 12800 à la même période l’an dernier. Le Port, qui bénéficiait de 428 CAE-CUI, n’en a plus que de 165, dénonce Jean-Yves Langenier, le maire communiste. Certes, ces contrats aidés ont désormais une durée de dix à douze mois, contre six auparavant, il n’empêche: la marge de manœuvre des communes, de la région et du département a diminué. «Il faut que le gouvernement entende le cri de détresse de notre population, plaide Jean-Yves Langenier. Sinon, le volcan réunionnais risque de vraiment péter à tout moment.»
Victorin Lurel, ministre de l’Outre-mer, rappelle que le gouvernement a aussi attribué 5 000 emplois d’avenir à La Réunion pour l’année en cours, de quoi combler le déficit de contrats aidés. Mais ce nouveau dispositif n’est financé qu’à hauteur de 75% par l’Etat. Le reliquat est jugé trop cher pour les communes et le conseil régional, cible des élus de gauche, qui critiquent la collectivité pour sa non participation. «D’un côté, le gouvernement nous supprime des CAE-CUI, rétorque Didier Robert, le président UMP de la région. De l’autre, il nous propose les emplois d’avenir qui coûteront une fortune, 7 500 euros par an et bénéficiaire!» L’élu promet d’adhérer au dispositif, à deux conditions : si le gouvernement lui rétrocède les CAE-CIU supprimés et si les emplois d’avenir sont destinés au secteur public ou privé, et non au secteur marchand.
En attendant, un an jour pour jour après les dernières émeutes qui avaient secoué la Réunion, l’île retient son souffle. (…)