Les moins de 30 ans n’ont jamais été aussi précaires. Ce sont aussi les grands oubliés de la campagne électorale pour les législatives des 24 et 25 février.
Par Beppe Severgnini – Corriere della Sera
Personne ne pourra accuser le futur gouvernement de ne pas avoir tenu ses promesses envers les jeunes Italiens,
pour la bonne et simple raison qu’il n’en aura fait aucune. Les nouveaux électeurs sont pour l’instant les grands exclus de la campagne électorale.
La politique s’apparente à une discothèque gardée par des gorilles qui leur barrent le passage.
Les cinq coalitions en lice semblent tout droit sorties de Gangnam Style : elles s’agitent, gesticulent, se déhanchent, se bousculent pour attirer les feux des projecteurs. Les jeunes Italiens les contemplent à travers la petite lucarne et laissent des commentaires navrés sur les réseaux sociaux. La tentation de l’abstention est forte, mais ce serait faire le jeu des détracteurs de la politique qui n’attendent que ça.
Le monde politique ne réagit pas
Les réseaux sociaux traditionnels se délitent progressivement.
Les familles ont épuisé leurs réserves de patience et d’argent. Les boutiques de rachat d’or, le marché immobilier et l’évolution de la consommation de biens durables en témoignent.
Le taux de chômage des jeunes actifs (15-24 ans) atteint 37 %, un record depuis 1992. Et il s’agit d’une moyenne nationale. Imaginez dans quel état se trouve l’Italie du Sud. En dix ans, le pourcentage des diplômés italiens partis chercher fortune à l’étranger est passé de 11 à 28 %.
Face à des phénomènes de cette ampleur, on serait en droit d’attendre une réaction du monde politique ; qu’il s’interroge, prenne des décisions, élabore des stratégies précises et des mesures concrètes.
Aucun pays ne peut décemment se permettre de sacrifier une génération entière. Attente vaine : nos candidats s’écharpent sur les impôts et les retraites. Ils s’adressent uniquement à ceux qui ont du travail, ou en ont eu un jour. A croire que les autres, ceux qui risquent de ne jamais en trouver, comptent pour du beurre.
La génération des moins de trente ans est en train de devenir transparente. La frustration pourrait, à force, engendrer de la colère, avec des conséquences dramatiques. Les signes avant-coureurs ne manquent pas.
La boulimie télévisuelle des vétérans de la politique – Silvio Berlusconi, Mario Monti, Pier Luigi Bersani (PD, Parti démocrate, gauche) – risque de tourner à la provocation. Les passages à la télé d’Antonio Ingroia (juge antimafia à la tête de la liste Révolution civique, à gauche du PD) virent à la foire d’empoigne ; loin des écrans, Beppe Grillo (Mouvement 5 étoiles) ne fait pas mieux. Comme un air de déjà-vu et de déjà-entendu. L’Italie politique de 2013 ressemble à la petite ville d’Un jour sans fin où, chaque matin, le protagoniste, joué par Bill Murray, est condamné à revivre la même journée.
Ne pas brocarder les pilotes de demain
Les ardeurs jeunistes du gouvernement Monti se sont limitées à la réintroduction de l’apprentissage et à un “Agenda numérique” [mesures en faveur de l’innovation et de la numérisation des données administratives] difficile à mettre en œuvre. Le Mouvement 5 étoiles propose “une indemnité chômage garantie” sans s’étendre sur son financement. La droite, qui évite le sujet, a banni les jeunes de ses listes pour faire de la place à la garde prétorienne du chef. La gauche, bien qu’elle présente quelques nouvelles têtes, ne propose aucune mesure radicale touchant ses jeunes concitoyens. Le prêt d’honneur évoqué par Anna Finocchiaro [ancienne ministre de l’Egalité des chances] n’est qu’un emplâtre sur une jambe de bois, alors que nous avons besoin de flexibilité à l’embauche et au licenciement.
Si nous voulons une autorité nouvelle et vigoureuse à la barre de l’Italie, ne brocardons pas les pilotes de demain : ils nous laisseront sur le bord de la route, et ils auront raison.
Surtout, ne faisons pas semblant de vouloir les aider, alors que nous ne sommes prêts à aucune concession.