Fdesouche

« Avec ses 42 milliards d’investissement en travaux, la rénovation urbaine a constitué depuis son lancement en 2003 une aubaine pour les quartiers. Les pressions sur les chantiers de rénovation ont toujours existé tant ces derniers constituent un enjeu pour les petits caïds : faire embaucher quelques jeunes ou prélever sa dîme sur le matériel de chantier est monnaie courante. Et les entreprises l’ont intégré dans leur budget.
(…)

« Mais le chantage a changé d’échelle. Depuis quelques mois, les tensions et intimidations sont devenues systématiques et plus violentes. “

Cela a pris des proportions inquiétantes et c’est devenu un système très organisé comme on peut le connaître en Corse “, assure Stéphane Peu, président de Plaine commune habitat, office de HLM. Rares pourtant sont les entreprises qui portent plainte. Par prudence pour leurs salariés. Et aussi parce que, la rénovation urbaine étant vitale pour leurs carnets de commandes, elles préfèrent payer. ” Tant que ça ne touche pas l’intégrité des salariés, les entreprises n’en parlent pas et préfèrent s’arranger “, reconnaît Francis Dubrac, dirigeant d’une entreprise de travaux publics et ancien patron du Medef local. (…)
« Dans ces quartiers pauvres et souvent abîmés de la banlieue parisienne, les opérations de réhabilitation dérangent certaines activités. Le schéma est classique : c’est souvent dans ces cités enclavées, bâties comme des lieux clos dont les accès peu nombreux sont facilement contrôlables, que les dealers installent leurs trafics. Quand, dans un quartier, il est décidé de percer une voie, d’aménager les halls ou simplement de revoir les parcelles de jardins, les travaux bouleversent les habitudes, les repères. Les dealers n’aiment pas le changement ni les intrusions dans leur monde. ” J’ai déjà vécu ça en 2000 en Seine-et-Marne et à Montfermeil. C’est fréquent dans le 93 “, remarque le dirigeant de Coredif. Depuis quelques mois, plusieurs autres attaques de chantier ont défrayé la chronique locale, provoquant l’arrêt des travaux.
« En octobre 2012, à la cité Karl-Marx au centre de Bobigny, un ouvrier est frappé de plusieurs coups de marteau. Quinze jours plus tard, des jeunes menacent à nouveau sérieusement les ouvriers. Le chantier est arrêté.
« Aux Francs-Moisins à Saint-Denis, le 30 janvier, c’est aussi sous la menace d’une arme blanche que deux individus font descendre un ouvrier de son tractopelle. Engins incendiés ou ouvriers molestés, le mois de janvier a été particulièrement violent sur les chantiers de Saint-Denis. Les entreprises sont par ailleurs soumises à un racket systématique. Dans un quartier, c’est une société de gardiennage ” locale ” que les caïds locaux conseillent de prendre pour surveiller le matériel. Coût annoncé : 150 euros la nuit pour protéger une machine à goudron.
« Sur un autre quartier, l’entreprise est forcée de changer l’ensemble des fenêtres des 450 logements. ” Les racketteurs ont touché 80 000 euros après avoir revendu les châssis à un ferrailleur “, témoigne un élu. Les noms des cités sont tus, ” par sécurité pour les salariés “, dit la ville.

Même les sociétés d’éclairage ont pris des mesures de prudence et ne travaillent que ” de 5 heures du matin, moment où les dealers se couchent, à midi, heure à laquelle ils se lèvent “, témoigne un patron local. Car les mesures de rétorsion sont devenues plus violentes : ” On ne raye plus les voitures ni ne crève les pneus, on tire “, raconte un adjoint.
« Les entreprises victimes de ces chantages ne souhaitent pas témoigner. Ni Vinci, Eiffage, Bouygues, ni ISS Espaces verts ” ne souhaitent réagir sur le sujet “. Les élus se sont aussi longtemps tus. Stéphane Peu le reconnaît : ” De la police aux patrons en passant par les bailleurs et les élus, tout le monde a fermé les yeux. Il faut aujourd’hui réagir et une vraie réponse policière et judiciaire face à cette dérive mafieuse. ” »

Le Monde

Fdesouche sur les réseaux sociaux