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Combien y-a-t-il de stagiaires en France? Dans quels secteurs sont-ils le plus exploités? Le collectif Génération Précaire livre son point de vue sur la situation, au lendemain de l’annonce de Geneviève Fioraso sur la réforme des stages.

Jeudi 7 mars, Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur, annonçait vouloir mieux encadrer les stages, en limitant notamment leur durée à six mois maximum. Elle dénonçait au passage certains secteurs d’activité, accusés de recourir abusivement aux stages, et citait les agences de publicité, qui compteraient selon elle jusqu’à 10 à 15 % de stagiaires. Une situation que dénonce Ophélie Latil, porte-parole de Génération Précaire, un collectif de défense des stagiaires.
Le Figaro Étudiant: À combien estimez-vous le nombre de stagiaires en France?

Génération Précaire: En 2006, on estimait qu’il y avait environ 800.000 stagiaires en France, et 1,2 million en 2008. Aucune enquête n’a été réalisée depuis par le ministère de l’Enseignement supérieur, malgré nos demandes. Nous nous sommes donc attelés à la tâche nous-même en 2010 et avons calculé une tendance à partir du faible nombre de réponses reçues de la part des établissements. Le chiffre que nous obtenions tournait alors autour de 1,5 million de stagiaires.

Mais il est important de comprendre que ce chiffre est sans doute sous-estimé, car il ne prend en compte que les universités. Or, tout le monde sait bien que les écoles de commerce ou les écoles d’ingénieur abritent elles aussi de nombreux stagiaires. La réalité est donc sans doute bien pire que ce que l’on imagine.

Enfin, nous ne disposons d’aucune enquête précisant leur niveau moyen d’indemnisation ou leur durée moyenne, ce que nous déplorons. Nous espérons que le ministère, qui semble intéressé par le problème, acceptera de réaliser une nouvelle étude.
– Quels sont les secteurs qui s’appuient le plus sur les stagiaires?
– Il y en a beaucoup! Le secteur bancaire, les avocats, la communication, la presse, le milieu associatif, l’immobilier, le luxe… En gros, les secteurs les plus touchés sont ceux qui proposent des rémunérations très attractives, comme les banques, ou des métiers très séduisants aux yeux des jeunes, comme l’industrie culturelle ou le luxe. La crise aggrave bien sûr cela, mais elle sert trop souvent d’excuse à ceux qui recourent massivement aux stagiaires.
Quant à certains entrepreneurs, que l’on entend parfois déclarer qu’ils ne pourraient pas se développer si ils ne prenaient pas de stagiaires, ce ne sont pas de vrais entrepreneurs! Certes, embaucher un salarié constitue toujours un risque pour une jeune entreprise, mais cela fait partie des risques inhérents et incontournables à la création d’entreprise!
– Certains secteurs, à l’inverse, sont-ils plus vertueux?
– Oui. L’assurance, par exemple, fait de réels efforts pour adopter de bonnes pratiques. Il faut dire que c’est un secteur qui ne fait généralement rêver personne. Pour convaincre et séduire les jeunes, ils ont donc décidé de favoriser l’apprentissage et les contrats de professionnalisation, ce qui va dans le bon sens car ce sont de vrais contrats de travail. Quant aux stagiaires auxquels ils recourent, ils sont globalement bien payés, et plus souvent embauchés au terme de leur période de stage que dans d’autres domaines.
Le secteur des télécoms a également fait de gros efforts de ce côté là. Un accord de branche a même été signé à ce sujet en 2008. Il prévoit notamment une évolution des gratifications versées au stagiaire en fonction de son niveau d’études (+10 % pour un bac + 3, 20 % pour un bac + 4, 30 % pour un bac + 5), un accès aux activités proposées par le CE, ou le respect du délai de carence prévu par la loi entre deux stages. C’est encore loin d’être suffisant mais en reconnaissant le problème, ils font un vrai pas en avant. Malheureusement, c’est encore très rare.
Tous les stages se valent-ils? Certains secteurs proposent-ils des stages de meilleure qualité?
– Certaines entreprises payent effectivement bien leurs stagiaires ou les embauchent plus souvent que d’autres. Mais à Génération Précaire, nous considérons que si vous êtes prêt à bien payer quelqu’un et à bien le traiter, il n’y a pas de raison de ne pas l’engager! Il faut rappeler que les stagiaires ne sont pas soumis au droit du travail. Ceux qui sont victimes de harcèlement sexuel, par exemple, sont obligés d’abord d’attaquer aux prud’hommes pour faire requalifier leur stage en contrat de travail avant de pouvoir attaquer pour harcèlement. C’est scandaleux.
De plus, lorsque des stages bien payés sont proposés par les entreprises, comme c’est le cas dans les métiers de conseil par exemple, c’est souvent parce qu’elles en tirent profit et qu’il s’agit en réalité d’un emploi déguisé. Tous les stages avec des objectifs précis et chiffrés («tu dois appeler 50 clients par jour», «tu dois vendre tant de marchandises par semaine», etc…) sont d’ailleurs considérés comme des emplois déguisés, ce qui est interdit.
Si la loi était peu appliquée auparavant, il est de plus en plus fréquent que des juges requalifient un stage en CDI. Ce sont majoritairement les diplômés de grandes écoles de commerce ou d’ingénieur qui attaquent aux prud’hommes dans ce genre de cas. Ils imaginaient déjà tellement leur carrière toute tracée que l’injustice du procédé les choque encore plus.
Que pensez-vous des propositions de Geneviève Fioraso?
– Nous trouvons que ses annonces vont dans le bon sens, et pour cause, elle reprend plusieurs de nos revendications. Nous sommes très heureux que ça avance enfin, mais, comme d’habitude, nous craignons que cela reste à l’état de vœu pieux. Nous serons donc très vigilants sur l’application de ces mesures. Nous avons en revanche été très déçus par les accords sur l’emploi, qui n’ont pas du tout abordé la question des stages. La taxation des contrats courts nous parait notamment une mauvaise idée, car en augmentant le coût du travail, elle ne favorise pas la lutte contre l’abus de stages.
Le Figaro
(Merci à Arbre Sec)

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