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(…) est 18 heures, l’heure de pointe. On ouvre les Kinder Bueno, les minipaquets de chips, on pique des pailles dans des briques de jus d’orange. Dans le RER D, c’est la France qui mange mal. Beaucoup somnolent, casque sur les oreilles. Manière de montrer qu’on ne se mêle pas de ce qui se passe autour…

“Le RER est à l’image de cette société, c’est chacun pour sa peau, philosophe Claude, un quinqua en costume cravate. Un gars qui occupe quatre places ou qui écoute sa musique à fond, personne ne lui dit rien. On ne sait pas comment ça peut tourner.”

Jennifer, 20 ans, serveuse, attend le train à la petite gare d’Essonnes-Robinson. Elle qui ne rentre jamais avant 23 heures a toujours évité les embrouilles “en ne regardant personne dans les yeux”.

Tous les soirs, dans son wagon, “il y a des groupes de mecs qui parlent fort et qui fument. C’est eux les patrons du train”. Une fois, elle a vu un type battre sa femme : “On était deux dans le wagon, alors on n’a rien fait…” Personne n’a bougé non plus quand l’année dernière, Fleur, secrétaire administrative de 33 ans, s’est fait entreprendre par une vingtaine de garçons éméchés.

“C’était un dimanche, il était 5 heures du matin, je partais rejoindre un groupe de randonneurs à la gare de Lyon. Ils ne m’ont pas lâchée de tout le trajet, j’ai failli tirer la sonnette d’alarme”, se souvient-elle. Personne n’a oublié l’agression mortelle dont fut victime Anne-Lorainne Schmitt, poignardée en 2007 par un déséquilibré, à l’aube en gare de Creil (Oise). “Même si on n’est pas raciste, on le devient, lâche Dominique, quinqua blonde, gestionnaire dans le bâtiment. J’ai dit à mon mari que je voulais prendre une arme.”

Ce jour-là, visite de Manuel Valls oblige, les voitures fourmillent d’agents de la sûreté ferroviaire. Les dames les trouvent “charmants”, même s’ils ne veulent pas aider une maman à monter la poussette de son bébé, “parce que s’il arrive quoi que ce soit, on est responsable, Madame”.

Deux SDF ivres montent dans le RER cigarettes allumées, si tremblants que l’un d’eux renverse une partie de son café bouillant sur une dame qui crie. L’agent de régulation, en gilet rouge, n’a pas bougé un cil. “Je ne peux rien faire là. C’est une histoire à se prendre une bouteille à travers la figure.” Comme cet homme de 30 ans, retrouvé avec une plaie béante à la gorge la semaine dernière, le 28 mars, en gare de Choisy-le-Roi, sur la ligne du RER C. Blessé par un coup de tesson de verre à la suite d’un différend avec un autre passager, il est décédé dans la soirée à l’hôpital de Créteil.

Le Monde

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