[extraits]La délinquance est une question si explosive et si polémique qu’aucun expert n’ose en évaluer la facture. Celle-ci s’élève pourtant à plusieurs milliards par an…
« Franchement, vous aimeriez travailler dans un coupe-gorge, vous ? »
Il y a trois ans, les 1 800 salariés du siège d’Orange Business Services ont quitté leurs locaux parisiens pour s’installer au-delà du périph, à La Plaine-Saint-Denis. De quoi économiser une petite dizaine de millions par an. Mais le personnel ne s’est pas vraiment acclimaté au «9-3».
«Dès les premières semaines, il y a eu des vols de mobiles, des agressions, et certains d’entre nous ont assisté à l’enlèvement d’un dealer par une bande de jeunes », se souvient le directeur de l’innovation.
Devant la panique, la direction à doublé les contrôles à l’entrée, fait patrouiller des vigiles et à embauché un maître-chien qui tourne toute la journée autour du bâtiment – pourtant situé à deux minutes de la gare.
Coût de ce dispositif : 200 000 euros par an. Auxquels s’ajoutent les 30 000 euros payés par l’entreprise pour les trois médiateurs sociaux que la ville a plantés à la sortie du RER…
Par-delà les souffrances des victimes et les débats politiques qu’elle engendre, la délinquance est devenue un enjeu économique considérable.
Certes, le nombre de crimes et d’homicides a reculé depuis vingt ans mais les «petites» agressions, elles, n’ont cessé de progresser, et avec elles la note pour les familles, les entreprises et les ménages.
Une facture annuelle faramineuse
Aucun économiste sérieux n’ose aujourd’hui s’attaquer au sujet. «Non seulement la question est ultrasensible, mais les estimations chiffrées sont très difficiles à établir», admet Christophe Soullez, criminologue.
Les chiffres que nous proposons sont forcément parcellaires et relèvent parfois de l’estimation. Mais ils ont le mérite de donner une idée du phénomène.
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(…) «Les vols à la tire ont explosé avec l’arrivée des smartphones, commente un policier. Entre nous, on appelle ça “l’effet iPhone”.» Mais la tendance la plus inquiétante est la recrudescence des usurpations d’identité. En volant les papiers ou, surtout, en piratant mails et réseaux sociaux, les malfrats récupèrent en effet des données qui leur permettent de contracter des crédits sur le dos du pigeon.
Les assurances couvrent une bonne partie de ces mauvais tours (…) «Mais comme les sommes reçues par les personnes lésées proviennent des primes versées par les cotisants, ce sont de toute façon les Français qui paient l’addition».
Les particuliers dépensent gros pour se protéger. Mais les faucheurs sont de mieux en mieux équipés, notamment depuis l’arrivée de gangs très organisés d’Europe de l’Est, et les appareils sont de plus en plus chers et sophistiqués.
Les chiffres sont encore plus impressionnants du côté des entreprises. «Toutes les sociétés du CAC 40 possèdent aujourd’hui un directeur sécurité, contre à peine 30% il y a quinze ans.
La fraude, les agressions et le vandalisme coûtent chaque année plus de 2 milliards d’euros à la SNCF et aux compagnies de transports publics. (…) Pour se protéger contre les agressions, la Compagnie des transports strasbourgeois reconnaît avoir doublé le nombre d’agents chargés du contrôle des billets depuis 2008.
Du côté des commerçants, la facture des vols à l’étalage flambe elle aussi tous les ans. (…) La plupart des boutiques se sont équipées de caméras ou de systèmes antivols. Mais pour rassurer les vendeuses, rien ne vaut une paire de gros bras. Les commerçants du centre-ville d’Avignon se sont offert les services de deux agents de sécurité. (…) L’opération a coûté 2 400 euros, pour dix petites demi-journées. (…)
Pour les entreprises, c’est derrière les écrans que les agressions sont désormais les plus redoutables. Un piratage avec vol de données peut coûter jusqu’à 240 000 euros à une PME, et plus de 2,5 millions à un grand groupe. (…)
Le secteur public lui aussi fait face au vandalisme (120 millions par an de dégradation pour les municipalités), aux agressions (13,6 profs violentés pour 1 000 élèves l’année dernière, contre 10,5 en 2008-2009) et aux pirates du Web.
La tendance la plus inquiétante est la percée de l’insécurité dans des services publics jusque-là épargnés. Comme les maternités, de plus en plus nombreuses à acheter des bracelets électroniques par crainte des enlèvements de nouveau-nés. Ou encore les palais de justice, qui commencent à s’équiper de portails magnétiques pour limiter les agressions contre le personnel à l’intérieur des murs. (…)
Combien l’Etat et les collectivités dépensent-ils pour limiter les dégâts ? Une trentaine de millions d’euros rien que pour les nouvelles caméras de surveillance installées tous les ans dans les villes. (…)
La principale réponse des pouvoirs publics a été, ces trente dernières années, l’augmentation des forces de l’ordre. Les effectifs de la police municipale sont passés de 3 000 en 1981 à près de 18 000 aujourd’hui, ce qui représente une dépense supplémentaire de près de 300 millions d’euros par an pour les communes.
Auxquels on pourrait ajouter le paquet de milliards consacrés aux politiques de prévention de la violence dans les villes.
«Tout ça pour pas grand-chose». Selon Philippe Robert, la police municipale a échoué dans sa mission, en choisissant de traiter en priorité les grosses affaires plutôt que la violence quotidienne.
Quasi inexistant il y a trente ans, le marché de la sécurité privée a fini par devenir une véritable industrie dans l’Hexagone. La pose d’alarmes, les sociétés de vigiles ou encore la vidéosurveillance occupent aujourd’hui plus de 250 000 personnes.