Dans le panel des méthodes d’influence et de guerre culturelle, la « récupération » de causes morales joue un grand rôle. En général, cela consiste à récupérer une cause, l’écologie, l’homosexualité, les femmes battues, parce que son image est jugée bonne, soit qu’elle jouisse d’un potentiel de sympathie dans l’opinion publique, soit qu’elle permette d’endosser le rôle de la victime, minoritaire et/ou persécutée, donc faible et incapable de nuire, de sorte à inhiber le jugement critique à son encontre, stratagème essentiel dans tout rapport de forces.
Le travestissement de l’information d’origine sociétale
La sociologie anglo-saxonne a inventé un terme pour désigner les effets sociétaux de cette tendance : la culture des « cry babies », traductible par « culture des pleurnichards ».
Ce principe d’ingénierie des perceptions fondé sur l’imitation du statut de victime cherche à faire changer la perception d’un acteur économique ou politique dominant en hameçonnant les consciences par le façonnage d’une image de faiblesse simulée de cet acteur.
Le fort se fait passer pour le faible, et le vrai faible est accusé d’être fort. Cette inversion de la perception du réel se performe notamment par l’affichage ostensible de tous les signes extérieurs de l’adhésion à une cause morale « politiquement correcte », toujours la cause des minorités ou des opprimés, mais en continuant d’agir fondamentalement contre elle. On soutient d’une main ce que l’on détruit de l’autre. « Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais ».
Un art du faible peut-il être retourné par un fort ?
Les mouvements de gauche et d’extrême gauche, politiques, associatifs, syndicaux, sont passés maîtres dans l’imitation faussaire de la lutte contre une domination au service de laquelle ils se placent dans les faits.
On a vu, par exemple, le NPA et divers syndicats soutenir les guerres néocoloniales menées par l’OTAN, Israël et les pétromonarchies wahhabites contre la Libye et la Syrie.
Dans un tout autre domaine, le « greenwashing », ou éco-blanchiment, ou « capitalisme vert », est également une manœuvre de l’opinion bien connue dans cette perspective. D’après Wikipédia :
« L’écoblanchiment, ou verdissage, est un procédé de marketing ou de relations publiques utilisé par une organisation (entreprise, administration publique, etc.) dans le but de se donner une image écologique responsable. La plupart du temps, l’argent est davantage investi en publicité que pour de réelles actions en faveur de l’environnement. »
Par exemple, une entreprise polluante disposera des produits labélisés « commerce équitable » dans ses distributeurs de boissons et de friandises, de sorte à s’attribuer une image respectueuse de l’environnement, estampillée « développement durable ». Dans le cas de l’écoblanchiment, l’objectif est purement économique. Dans d’autres cas, il possède aussi une implication sociétale : il suffit d’ouvrir au hasard un magazine féminin clamant haut et fort son féminisme pour comprendre que ce type de presse est en fait l’ennemi n°1 des femmes. On se reportera sur ce sujet à la « théorie de la Jeune-Fille » du collectif Tiqqun et son commentaire dans « Gouverner par le chaos. Ingénierie sociale et mondialisation ».
L’instrumentalisation de la liberté sexuelle
Dans le cas du pinkwashing, traductible par « homo-blanchiment », il existe aussi un motif géostratégique de propagande de guerre.
Un pays est à l’avant-garde du pinkwashing : Israël. Des militants LGBT de Palestine, Haneen Maikey et Ramzy Kumsieh, étaient invités à Paris en 2012 pour une conférence sur ce thème. À cette occasion, ils ont décrit comment l’Eta hébreu instrumentalise le mouvement LGBT pour tenter de se donner une bonne image, progressiste et tolérante car féministe et « gay friendly », au contraire des pays arabes et musulmans alentour, qui seraient d’horribles dictatures où les femmes et les homosexuels seraient maltraités. Elles expriment ainsi leur point de vue sur le site de la revue des livres :
« Selon The New York Times, dès 2005, et ce avec l’aide de directeurs marketing américains, le gouvernement israélien a déployé une vaste campagne, “Brand Israel”, en direction principalement des hommes entre 18 et 34 ans : cette campagne a été mise en œuvre en vue d’offrir à cet État colonial un visage attractif et moderne. En 2009, The Israel Project a publié un dictionnaire des “mots qui marchent” pour défendre la politique d’Israël en mettant l’accent sur le fait que la “démocratie” israélienne respecte “les droits des femmes”. Ce plan marketing s’est progressivement dirigé à l’attention de la “communauté LGBT”. Dès lors, en 2010, ce sont 90 millions de dollars qui ont été investis par l’office de tourisme de Tel Aviv pour se donner des allures de destination de vacances sur mesure pour les gays du monde entier. Ce type de financement fleurit, souvent à la faveur d’un arsenal culturel, pour donner un visage gay-friendly à Israël. Les ambassades israéliennes financent des festivals de films gays et lesbiens, aux États Unis comme en Europe. En France, la venue d’une cinéaste israélienne au festival de films féministes et lesbiens Cineffable avait donné lieu à un partenariat entre les organisateurs et organisatrices du festival et l’ambassade d’Israël – l’ambassade finançait en effet la venue de la cinéaste. La campagne pour le Boycott culturel de l’État d’Israël (PACBI) a révélé en 2008 que les contrats qui relient les artistes israéliennes à leur gouvernement, lorsque celui ci finance leur déplacement, contiennent une clause qui définit le but de la collaboration : “promouvoir les intérêts politiques de l’État d’Israël […] et créer une image positive d’Israël.” Un mouvement grandissant à l’échelle internationale dénonce cette tactique de pinkwashing : une stratégie délibérée pour occulter la violation systématique des droits des Palestiniennes derrière un visage moderne, symbolisé par la vitalité des espaces gay en Israël. »