La crise n’en finit pas d’affaiblir l’Europe, mais personne n’imagine vraiment que l’union pourrait se dissoudre. Et pourtant… en 88 avant la chute de l’URSS, personne n’envisageait l’effondrement de la superpuissance…
Atlantico : L’ancien dissident soviétique Vladimir Boukovski théorisait déjà en 2005 l’idée que l’Union Européenne, de par son gigantisme administratif et sa nomenclature technocratique, était en train de devenir une nouvelle URSS. Les actualités récentes vous incitent-elles à partager ce constat ?
Jacques Sapir : La comparaison entre l’URSS et l’Union Européenne est souvent faite. En réalité, l’URSS était la descendante de l’Empire tsariste, alors que l’UE se présente comme une nouvelle construction institutionnelle. […] Le véritable point sur lequel une comparaison porte c’est la nature toujours plus anti-démocratique de l’UE et bien entendu de l’URSS. En ce qui concerne l’UE, c’est par la tendance à transférer de la légitimité des États-Nations vers des instances supra-nationales qui ne sont ni élue ni responsable devant des élus, que se marque le caractère anti-démocratique. En fait, c’est la négation du principe de souveraineté, qui fonde celui de légitimité, qui est en cause.
Jean-Robert Raviot : […] Au cours des dix dernières années, on a le sentiment d’une construction européenne à marche forcée. Les résultats négatifs des référendums français, néerlandais et irlandais ont été circonvenus. Le message des urnes a été méprisé et ignoré. […] Il n’y a bien sûr ni police politique, ni norme idéologique officielle dans l’UE. Il n’empêche que le “déficit démocratique” est abyssal ! Récemment, un projet de la Commission européenne (révélé par le Daily Telegraph) consistant à financer des équipes de “trolls” pour contrer l’euroscepticisme dans les réseaux sociaux et influencer les opinions publiques pendant la campagne des élections de 2014, renseigne bien sur la conception que se font les technocrates de Bruxelles de la démocratie délibérative…
L’analogie qui me paraît la plus remarquable entre l’UE de 2013 et l’URSS de 1990 est l’impuissance du politique, impuissance qui a pour effet d’accroître presque mécaniquement le pouvoir des bureaucraties. […]
Dans la quasi-totalité des pays de l’UE, les élites – gouvernants, parlementaires, faiseurs d’opinion et responsables économiques et financiers – tiennent le même discours “pro-européen”. La poursuite de la construction européenne continue d’être présentée comme le sens de l’histoire, le meilleur remède à tous nos maux. Nous souffririons donc d’un “déficit d’Europe”… Ce discours ne passe plus auprès des opinions publiques. Il ressemble à ces vieux slogans soviétiques sur l’avenir radieux qui continuaient, en 1990-1991, à être scandés, mais qui étaient devenus totalement obsolètes. “Plus d’Europe” ? Mais 90% de notre législation est déjà élaborée par l’UE !
Les élites n’ont pas compris que les peuples, dans leur majorité, assimilent désormais le discours “pro-européen” à un autoritarisme pur et simple, l’autoritarisme TINA, “There Is No Alternative” – il n’y a pas d’alternative à la rigueur. […]