[extraits choisis] Interview de Patrice Leclerc, conseiller général et conseiller municipal de Gennevilliers. L’interview a été donnée à l’association “Maison islamo chrétienne”, dans le cadre de la publication “écouter les cités”.
Q : Il semble qu’il y ait peu de tension entre les gens, entre les communautés. Pourtant à certaines heures, le vendredi et les jours de fêtes musulmanes, les rues de Gennevilliers ont des allures de villes maghrébines (djellaba, voile intégral, …). Il semble que la population française de souche n’en souffre pas vraiment. Comment faites vous ?
Je n’aime pas cette expression « de souche » car elle introduit de fait une notion d’antériorité sur la nationalité et donc une forme de hiérarchie ou pire encore une conception ethnique de la population.
Parlons clair : vous me demandez comment faisons-nous pour que la présence mulsulmane à Gennevilliers ne pose pas de problèmes aux non musulmans ?
Nous avons moins de tensions qu’ailleurs car nous avons la chance d’avoir une communauté musulmane intelligente, avec des responsables de la mosquée qui font tout pour assurer et développer le vivre ensemble. (…) Il y a aussi une longue histoire du vivre ensemble (…) Mais ce n’est pas un long fleuve tranquille. L’effritement du sentiment de l’appartenance de classe, efface la prééminence de ce qui nous est commun, de nos intérêts communs au profit de repli individualistes, égoïste, identitaire, et le plus souvent au retrait du collectif qui fait société.
On ne peut pas dire que « les défilés » dans les rues le vendredi ou les jours de fêtes en djellaba et en voile intégral laissent indifférent tout le monde. Je ne crois pas que le Coran impose le port de la djellaba pendant le trajet vers la mosquée. J’imagine donc que ceux qui le font ressentent le besoin de telle démonstration publique de leur foi .
Cela est ressentie de différentes manières. Pour certains cela représente une occupation fâcheuse de l’espace public par la religion alors qu’après plusieurs siècles de luttes, ils considèrent avoir réussi à faire reculer sa domination quotidienne (sœur en cornette, prêtre en aube, rythme de la vie de la Cité, sécularisation, etc..).
Des réflexes racistes peuvent se développer : « on n’est plus chez nous » car comme vous le dites la démonstration vestimentaire rappelle le Maghreb, d’autres sur le champ féministe s’inquiètent de ce qu’ils interprétèrent comme une forme d’aliénation supplémentaire des femmes.
Mais tout cela ne pose pas des questions qu’aux non musulmans. Des personnes de culture musulmane s’inquiètent aussi de ce qu’ils vivent comme une forme de pression sociale sur leur mode de vie personnel, de démonstration sur une représentation d’un mode de vie en société qui n’est pas du tout leur modèle.
J’ai encore été interpellé récemment par un ami musulman sur le fait qu’ « il y a de plus en plus de mamans voilées à la sortie des écoles ». (…) J’ai des témoignages de maman qui se voilent aujourd’hui parce que leurs enfants font pression pour cela.
Le vivre ensemble a progressé avec la construction de la Mosquée. Elle est un véritable lieu de dignité pour les musulmans, ils en sont fiers. Je suis aussi fier de la beauté du bâtiment et de notre équipe qui a tout fait pour éviter un islam des caves et de relégation dans les zones industrielles mais permit l’installation de la mosquée dans la ville.
Elle est la reconnaissance du droit à vivre personnellement sa foi, à égalité avec d’autres. Afficher sa dignité, cela aide à aller vers l’autre. (…)
Q : Quelles appréciations portez-vous sur la présence immigrée en France, les problèmes culturels posés et non résolus, sur la visibilité grandissante de l’islam ?
« Je crois que l’on se trompe quand on stigmatise l’immigration. L’Homme a depuis son origine migré et donc émigré. Pourquoi cela ne serait-il plus possible au XXIe siècle ? Pourquoi acceptons nous la liberté de circulation des capitaux, des marchandises et pas des hommes ? »
(…) Les résultats électoraux montret que la présence immigrée en France ne conduit pas à un fort rejet là où elle est forte mais là où elle est imaginée, redoutée.
Ainsi c’est en province, dans les campagnes que le Front national profite le plus de cette phobie. Là encore le poids des émotions est plus fort que la raison.
Il en va de même sur l’islam. Il y a un problème de connaissance culturelle. Il y a l’utilisation idéologique du pouvoir sarkozyste qui a assimilé en permanence Islam à terrorisme, délinquance.
Idéologie qui perdure de façon insidieuse et ne permet pas facilement la rencontre, qui pousse aussi au repli, voire à la provocation.
A Gennevilliers, c’est un fait, l’islam est la première religion de la ville. Cela se voit, c’est le contraire qui serait anormal.
Le vivre ensemble que nos voulons travailler ici, se construit à partir d’une conception de la laïcité qui protège et développe la liberté de chacune et chacun et assure leur égalité de traitement par les politiques publiques.
Blog Médiapart de Patrice Leclerc
———–
Biographie (extraits)
• 1979: adhésion à la Jeunesse communiste au lycée de Rueil Malmaison
• 1984:85: Président de l’Agen-Une, Trésorier national de l’UNEF.
Président de l’UNEF-SE de 1986 à 1987.
• 1989-1995: Maire adjoint de Gennevilliers. Secrétaire à l’organisation de la section de Gennevilliers du PCF
• 1998-2003 : premier secrétaire de la Fédération des Hauts-de-Seine du PCF
• 2000 membre du Conseil national du PCF
• Juin 2007 n’est plus adhérent du PCF et participe à la création d’une association politique: alternative citoyenne Gennevilliers.