Extraits d’un texte de Sadri Khiari, publié dans l’ouvrage collectif Qu’est-ce qu’un peuple, (Éditions La Fabrique, 2013).
Vous n’avez rien à faire ce samedi ? Allez donc faire un tour à Saint-Denis – ligne 13 ou RER C – et interrogez les passants. Repérez un Français noir ou arabe et demandez-lui : «A quel peuple appartenez-vous ? » S’il vous répond «j’appartiens au peuple français», vous saurez que c’est un lèche-bottes. S’il vous répond sincèrement, il vous dira «J’appartiens au peuple noir – ou arabe ou berbère, malien, marocain, musulman, sénégalais, algérien, africain… » Repérez par la suite un Français dit de souche et posez-lui la même question. Il ne vous dira pas : «J’appartiens au peuple blanc ou européen ou chrétien» ; il vous répondra : «Je fais partie du peuple français. »
[…] Se revendiquer d’un peuple, c’est bien plus que cela. C’est établir le groupe auquel on appartient dans la société et affirmer son rapport privilégié à l’État ou, pour être plus précis, à l’État-nation. Que deux fractions importantes de la même population française, l’une largement majoritaire – reconnue par l’État et se reconnaissant en lui – et l’autre minoritaire – non reconnue par l’État et ne se reconnaissant pas en lui -, aient des réponses opposées, cela pose un problème stratégique majeur à l’une comme à l’autre. […]En dehors de groupuscules d’extrême-droite, le même déni demeure, aussi bien à droite qu’au sein l’écrasante majorité de la gauche.
Si j’écris «le peuple français est le peuple français blanc», je me verrai, en effet, accusé d’utiliser le même langage que les identitaires suprématistes blancs. Je ne peux pourtant pas faire autre chose que de l’écrire : le peuple français est le peuple français blanc ! Et j’ajouterai, pour être plus précis : européen et chrétien d’origine.
Les autres, ceux qui n’ont pas eu la chance de naître blancs, européens et chrétiens, font et ne font pas partie du peuple : ils sont le tiers-peuple. Ce n’est pas dire ce que dirait un militant néo-nazi, mais dire ce que pensent plus ou moins clairement tous les Français. C’est dire, surtout, la réalité des rapports de pouvoir et des rapports aux institutions de pouvoir de la majorité blanche, européenne et chrétienne face à la minorité issue de l’immigration non-européenne. […]