Plusieurs familles de petits producteurs de miel ont dû se déplacer vers le centre de l’Argentine face à la “marée verte” du soja transgénique qui détruit les fleurs, les arbres et les plantes privant les abeilles de toute alimentation.
Dans l’estuaire de La Plata, la transhumance des abeilles est assurée par une barge qui va déposer 160 ruches d’île en île.
“J’ai dû suivre la musique“, plaisante Angel Dovico, apiculteur passionné et robuste quinquagénaire d’origine italienne, qui a trouvé refuge dans le cadre bucolique d’une île isolée, près du village d’Ubicuy, à 140 km de Buenos Aires, avec sa femme est ses deux enfants.
“La transhumance (des ruches, ndlr) a toujours existé. Mais aujourd’hui, elle est exacerbée par le soja. La fumigation des champs est si toxique que la flore ne pousse plus, ni le long des clôtures, ni sur les bas-côtés des routes“, alerte la biologiste argentine Laura Gurini.
Dans les Iles Lechiguanas, une zone protégée rappelant des paysages du delta du Mississippi, le silence n’est brisé que par le cri des oiseaux et le moteur des embarcations. La multiplication des cultures de soja “a dispersé les apiculteurs vers les côtes et les montagnes“, souffle Angel Dovico, en sortant les ruches de sa barque, pour les installer dans une clairière au milieu d’un sous-bois.
L’associé d’Angel Dovico, Fernando Hins, un ingénieur chimiste qui s’est tourné vers les abeilles, s’inquiète de voir “de moins en moins d’apiculteurs” dans deux provinces de la Pampa, celles de Buenos Aires et Santa Fe.
“Ils nous ont mis dehors. Ici, il n’y a ni pollution, ni produits chimiques agricoles“, assure l’ingénieur.
Selon Laura Gurini, chercheuse de l’Institut national technologique agronomique (INTA), “les déménagements forcés de nombreux apiculteurs ont fait baisser la production de miel” en Argentine, deuxième exportateur mondial de miel derrière la Chine, de 120.000 tonnes en 2004 à 70.000 en 2012.
Dans la Pampa, les grandes plaines fertiles du centre de l’Argentine, les cultures du soja sont passées de 12 à 20 millions d’hectares au cours des dix dernières années. Aujourd’hui, 10% de l’Argentine est recouvert de soja, l’équivalent de la moitié du territoire français.
Angel Dovico vend son miel jusqu’en Algérie, surtout avant le ramadan, car il est utilisé pour confectionner diverses pâtisseries.
L’apiculteur sait que le miel ne pèse que 200 millions de dollars (en 2012) dans l’économie argentine alors que l’export du soja a bondi de 7,5 à 25 milliards de dollars au cours de la dernière décennie, selon l’OMC.
Le président de la Chambre des apiculteurs Roberto Imberti souligne que 80% des producteurs de miel ont moins de 200 ruches et ne peuvent pas vivre de l’apiculture. “Le soja en a fait partir beaucoup. Combien? Personne ne le sait. Il y en avait 30.000 il y a dix ans et il n’y en a plus que 24.000“, estime-t-il.
“La fumigation détruit tout, pas une marguerite ne pousse, pas même un trèfle, impossible de faire du miel. Chaque ruche produisait avant de 70 à 80 kilos et aujourd’hui, affirme-t-il, on fait la fête si on en tire 25 kilos“.
Impossible cependant de mettre tout sur le dos du soja, d’autres facteurs comme l’augmentation des coûts de production, l’alternance de pluies diluviennes et de périodes de sécheresse a compliqué la tâche des agriculteurs.
Les agriculteurs admettent que le soja et les abeilles ne font pas bon ménage. Mais ils mettent en avant que le soja est le moteur de l’économie argentine et que si le pays latino-américain est sorti de la crise économique, il le doit en grande partie à cette culture.
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