Tribune de Jean-Pierre Le Goff, philosophe et sociologue, dans Le Monde.
Quand on ne cherche plus à convaincre, mais à gagner dans un débat dont on a d’emblée délimité les contours légitimes, quand le réflexe de défense identitaire l’emporte, il y a de quoi s’inquiéter sur l’avenir d’une gauche qui ne s’aperçoit même plus qu’elle exacerbe une bonne partie de son électorat et de la population.
Quoi de plus simple que de considérer ce mouvement [la manif pour tous] comme un succédané du fascisme des années 1930, du pétainisme, ou encore comme une des manifestations de l’intégrisme catholique et de l’extrême droite qui ne manquent pas d’en profiter ? Bien mieux, ce mouvement a toutes les allures d’un Mai 68 à l’envers, avec des aspects revanchards bien présents. […]
Considère-t-on que les questions sociétales constituent désormais le nouveau marqueur identitaire de la gauche, et ce à un moment où la politique économique menée est difficilement assumée, ou encore que la gauche sociale est désormais inséparable de la gauche sociétale ? Si oui, il faut admettre qu’un seuil a été franchi : la question sociale, qui a façonné l’identité historique de la gauche, n’occupe plus la place centrale.
Ce gauchisme post-68 abâtardi a de beaux restes : la prise en main de l’éducation des jeunes générations selon ce qu’on estime être le «bien», la notion problématique de «genre» introduite dans les crèches et les écoles, l’éradication du mot «race», les réécritures de l’histoire sous un angle moralisant et pénitentiel, le tout agrémenté de dénonciations régulières des réactionnaires anciens et nouveaux. Il faudra bien que la gauche finisse un jour par l’admettre : tout cela est de plus en plus insupportable à une grande partie de la population. […]