par Hervé Kempf
Ah, les miracles promis par le gaz de schiste, “la manne extraordinaire sous nos pieds” vantée par la patronne du Medef, la promesse d’une Amérique indépendante pour cent ans ! Ô, châteaux en Espagne, lubies fantasmagoriques, rêves insensés ! Mais le songe creux d’une énergie inépuisable s’évapore comme le méthane, les faits commencent à dissiper les discours mensongers de ceux qui ne veulent rien changer.
Le 8 mai, on a appris que deux compagnies gazières, Talisman Energy et Marathon Oil, se retiraient de l’exploration du gaz de schiste en Pologne. Pourquoi ? Parce qu’elles n’ont pas trouvé suffisamment de gaz, qui se révèle ne pas être aussi aisé à extraire qu’aux Etats-Unis. Sur 43 puits creusés jusqu’à présent en Pologne, seuls 12 ont produit du gaz. La Pologne, à qui l’on avait promis des réserves immenses de 5 trillions de mètres cubes, ramenées ensuite à 800 milliards, découvre la différence entre le potentiel, le possible et le faisable.
Il ne fait guère de doute que d’autres pays vont subir les mêmes déconvenues que la Pologne, même s’ils sont prêts à faire fi de ce qu’implique l’exploitation des gaz de schiste : l’atteinte aux paysages, la consommation et la pollution des eaux, les émissions de gaz à effet de serre. Et même aux Etats-Unis, la réalité apparaît moins rose qu’elle n’est usuellement présentée.
Le pot aux roses, justement, a été découvert par un géologue canadien, David Hughes, dans une importante étude publiée par le Post Carbon Institute, en février. Le chercheur a analysé les données historiques de production sur 65 000 puits forés aux Etats-Unis. Il met en évidence un phénomène connu, mais jusque-là pas systématiquement étudié : la production de gaz de schiste ne peut se maintenir à des niveaux élevés qu’à condition de creuser sans arrêt de nouveaux puits. En effet, le rendement d’un puits isolé décline très rapidement dans le temps.
Même si le nombre de puits forés se maintient à un niveau très élevé (43 000 aux Etats-Unis en 2012, selon Oil and Gas Journal), la production globale tend à se stabiliser. Le même constat est applicable au pétrole de schiste, qui se développe rapidement dans le Dakota du Nord.
En fait, estime Hughes, un pic du gaz et du pétrole de schiste va se produire aux Etats-Unis, c’est à dire que la production va stagner avant de décliner. Date prévue : 2017.
Ce phénomène reflète une loi fréquemment oubliée par le discours dominant, qui est celle des rendements décroissants. En énergie, elle trouve son application dans le concept de “taux de retour énergétique” (TRE ; en anglais, EROI, “energy return on energy invested”). Celui-ci traduit le fait que pour obtenir une certaine quantité d’énergie, il faut dépenser de l’énergie. Le rapport entre ces deux quantités est le taux de retour énergétique. Et la loi dominante de l’époque que nous vivons est que le TRE diminue tendanciellement : il faut dépenser de plus en plus d’énergie pour en obtenir. L’ère de l’énergie peu chère est derrière nous. Compris, le Medef ?