De nos jours les nouveaux infirmes ne peuvent plus vivre sans « infos ». Le matin dès qu’ils se lèvent, ils branchent la radio et la télévision et cela dès leur plus jeune âge. Les pauvres ne peuvent pas non plus regarder le ciel pour savoir le temps qu’il fera : ils ont besoin de la « météo » pour cela. Les infirmes ont en effet besoin qu’on leur dise ce qu’ils doivent regarder ou entendre, sinon ils seraient aveugles ou sourds.
Dès qu’ils sortent, ils se fichent des écouteurs dans les oreilles car leur audition nécessite ces appareillages. Que ce soit à pied, en vélo, en train, en bus ou en voiture, les pauvres ne peuvent en effet se passer de musique ou « d’infos ».
Quelle triste maladie que celle qui les rend incapables de rester quelques minutes dans le silence et la réflexion personnelle !
Les prothèses électriques
Les infirmes dépendent en permanence de prothèses pour penser et regarder le monde. Les prothèses se nomment médias, journal gratuit, tablette, blakberry, smartphone, écran, etc. Mais ce sont toujours des prothèses. Les yeux, les oreilles et l’esprit des infirmes ne fonctionnent pas, en effet, sans elles, sans cette dépendance. Quel malheur !
Les infirmes ne peuvent lire non plus : ils n’arrivent pas à se concentrer si le texte n’apparaît pas sur un écran luminescent. Et si le texte dépasse la longueur d’un message publicitaire, ils doivent en outre « zapper » pour regarder autre chose. Car chez les infirmes l’attirance pour le bruit et le mouvement l’emporte sur la perception du sens.
Le drame de la dépendance
A peine assis, les infirmes tripotent leur smartphone ou leur ordinateur portable, envoient des SMS ou téléphonent. N’importe où. Même au cinéma, en famille, lors d’un enterrement ou au restaurant. Et comme la SNCF se montre charitable envers les infirmes, elle a même installé des prises électriques à cette fin dans les trains grandes lignes.
Car les pauvres ne peuvent rester sans contact avec des correspondants, quels qu’ils soient. Ils éprouvent le besoin irrépressible de consulter les messages que d’autres, également malades sans doute, leur adressent : et s’ils n’en reçoivent pas ils en envoient immédiatement, par peur du néant sans doute. Salariés, ils sont rivés du matin au soir à leur écran comme le galérien à sa chiourme.
Dépendants mais fiers de l’être
L’existence des infirmes dépend du stimulus résultant de l’émission et de la réception de signaux électriques incessants.
On voit d’ailleurs beaucoup d’infirmes qui ne se déplacent plus qu’avec un appareil de communication électrique à la main, afin de rester en permanence « connectés » aux autres, agrippant leur smartphone en guise de béquille. Car leur voix ne porterait plus sans ces appareils.
Le plus troublant tient au fait que ces malheureux exhibent fièrement leur handicap, sans doute pour mieux masquer la souffrance que représente leur dépendance vis-à-vis de ces prothèses. Ils valorisent ainsi leur dépendance sous de beaux mots : modernité, accessibilité, connexion, dématérialisation ou communication. Et les fabricants de prothèses les y encouragent très charitablement : comme ce M. Samsung, par exemple, qui a pris pour slogan « Mon Samsung, ma vie ». Une vie grâce à Samsung : vous vous rendez compte du cadeau que fait M. Samsung à tous ces infirmes en échange de quelques modestes euros ?
Alors, quand vous rencontrerez un infirme, vous qui avez la chance de voir, d’entendre, de penser, de communiquer et finalement de vivre par vous-même, pensez à tout ce qu’il doit endurer. Soyez charitable : expliquez-lui qu’il vivra beaucoup mieux sans toutes ces béquilles technologiques et commerciales !
Par Michel Geoffroy – Polémia