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En 2012, l’université de Cambridge publiait une étude analysant les rapports entre les PDG et les conseils d’administration des 250 plus grandes entreprises françaises, de 1994 à 2001, en fonction de leur appartenance ou non à une grande école (ici). Mystérieusement, cette étude n’a pas eu beaucoup d’échos en France alors que les résultats sont pourtant des plus intéressants.


L’auteur constatait d’abord que
plus de 50 % des PDG sont issus de Polytechnique (29,32 %) et de l’ENA  (21,95 %). Près de 20 % sont par ailleurs aussi issus de l’Inspection des finances ou des Mines. Par ailleurs, pour des conseils d’administration de 11,4 membres en moyenne, 3,5 viennent de ces deux seules écoles.

Les résultats sont sans appels :

. En prenant comme critère la cotation en bourse sur deux ans,
les entreprises dirigées par des Enarques ou des X ont, sur 2 ans, ont un résultat moyen inférieur de plus de 7 % par rapport à celles qui ne le sont pas.

. Paradoxalement, le taux de remplacement forcé des PDG non issus des Grandes écoles est assez nettement plus important que celui des PDG X ou Enarques (3,3 % par semestre contre 2,8). Autrement dit, les conseils d’administration français sont plus indulgents avec l’incompétence des X et Enarques qu’avec celle des autres. Sans surprise, cette indulgence est d’autant plus importante que les liens sont proches (lorsqu’il y a un PDG et au moins un membre du CA issus du même corps).

. Qui plus est, lorsqu’un PDG est remercié, s’il est X ou Enarque il aura 22,39 % de chances de trouver un poste encore supérieur contre 8,33 % pour les autres.

. Ajoutons enfin cet autre paradoxe qu’à la tête d’une entreprise privée française, les PDG anciens hauts fonctionnaires sont deux fois mieux payés que ceux qui ont fait leur carrière dans le privé. Ils toucheront 2,5 fois plus de bonus et beaucoup plus de stocks-options.
Pour comprendre ce phénomène, l’auteur de l’étude, Bang Dang Nguyen, parle d’ « effet petit monde », qui ressemble beaucoup au processus de circulation des élites décrit par Vilfredo Pareto ou Arnold Toynbee :

. Un petit groupe s’insinue dans les sphères du pouvoir, c’est-à-dire en France, les cabinets ministériels puis les conseils d’administration des grandes sociétés (avec une grande vague d’ « émigration » pendant la séquence nationalisations-privatisations des années 1980).

. Une certaines masse critique atteinte (un millier d’individus), ce complexe économico-administratif s’auto-entretient au sommet et tend à devenir héréditaire à sa base. Le « bassin de recrutement » tend donc à se rétrécir socialement (le pourcentage de boursiers de X est deux fois inférieur à celui des écoles d’ingénieurs, 88 % des parents des étudiants de l’ENA sont de milieux aisés) et même géographiquement (l’écrasante majorité des élèves de Polytechnique est issue de 5 lycées de Versailles et des 3e, 5e arrondissements de Paris).

. Plus cette élite se resserre et se ressemble et moins elle est créative, donc performante dans un monde où l’innovation est essentielle (ici).

Cette déconnexion croissante et ce rendement décroissant finiront par se voir. L’aristocratisation débouchera alors sur une contestation, d’abord silencieuse comme celle des actionnaires étrangers qui, peu sensibles au prestige des grandes écoles, ont fait que 28 % des PDG du CAC 40 ne sont plus français, et puis ensuite plus agressive si rien ne change pour que tout change.

lavoiedelepee

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