Les écarts de taux obligataires, les “spreads“, entre les pays périphériques de la zone euro et l’Allemagne se creusent. Certes, les tensions autour de la Fed jouent un rôle, mais les inquiétudes ont d’autres excellentes raisons de poindre à l’horizon.
Et si la crise de la dette souveraine revenait en Europe ? En dépit des incantations de François Hollande qui, voici deux semaines, avait décrété que la crise de la zone euro était terminée, en dépit également de la satisfaction de Mario Draghi qui, lors de sa dernière conférence de presse, a insisté sur l’effet apaisant de l’annonce de son programme OMT, les spreads sont de nouveau à la hausse.
Hausse des taux et des spreads
Ce jeudi, vers midi, l’écart entre le taux à 10 ans allemand, le Bund, et le taux à 10 ans grec bondissait de près de 30 points de base (0,3 point de pourcentage). Le 10 ans espagnol s’écartait de 16,8 points de base du Bund, l’équivalent italien de 11,7 points de base et l’équivalent portugais de 13,4 points de base. Et le mouvement n’est pas isolé : sur un mois, le spread grec s’est élargi de 2 points de pourcentage… Parallèlement, l’adjudication d’obligations à 10 ans espagnoles a donné lieu à une hausse du taux demandé par le marché par rapport à la dernière offre du 6 juin dernier : 4,77 % contre 4,517 %.
L’effet Fed
Evidemment, ce coup de chaud sur les taux des pays périphériques de la zone euro s’explique en grande partie par « l’effet Fed » qui conduit les investisseurs à se débarrasser plus ou moins massivement de toutes leurs obligations dans la crainte d’un « krach obligataire. » Le Bund lui-même a décroché. Mais il n’en reste pas moins que les marchés ne se délestent pas à la même vitesse de toutes leurs obligations. L’évolution des spreads montre très clairement qu’ils vendent d’abord la dette périphérique. Preuve que le regain de confiance de fin avril-début mai était bien précaire : il y a encore des doutes sur la dette des pays du sud.
Doutes sur Chypre, inquiétudes sur la Slovénie
Il est vrai que ces doutes ne sont pas entièrement infondés. Chypre est dans une situation quasi inextricable et une nouvelle aide, quoique encore refusée par les pays de la zone euro, semble inévitable. La Slovénie, dont la situation réelle est toujours sujette à interrogations, a revu ce jeudi sa prévision de croissance en forte baisse : le PIB devrait reculer de 2,4 % cette année (contre 1,8 % prévu) et encore de 0,2 % l’an prochain (alors que, jusqu’ici, on tablait sur un retour de la croissance en 2014. Ceci va encore peser sur les mauvaises créances qui encombrent déjà les bilans des banques slovènes et compliquer la tâche de Ljubljana pour restructurer son secteur financier.
La dette portugaise est-elle tenable ?
Ce jeudi matin, le Financial Times s’interroge, compte tenu de la hausse des taux, sur le retour sur les marchés de l’Irlande, mais surtout du Portugal. La vraie question demeure de savoir si la dette de Lisbonne, prévue à 130 % à la fin de l’année, est tenable. En fait, la question de la restructuration de la dette portugaise est une option, mais une option qui effraie encore. Selon le FT, l’UE pourrait ouvrir des lignes de crédit « de précaution » pour le Portugal et l’Irlande auprès du MES avant de leur ouvrir, éventuellement, le programme OMT de la BCE. De telles perspectives ne contribuent pas à soutenir les cours.
L’Espagne
L’Espagne reste également une raison d’inquiétude. Le FMI, mercredi, s’est ouvertement inquiété du taux de chômage élevé et a exhorté le gouvernement de Madrid à engager des réformes plus amples du marché du travail. Par ailleurs, le risque bancaire demeure important au-delà des Pyrénées. Les propos, la semaine dernière, du ministre des Affaires étrangères espagnol qui a demandé des moyens « illimités » au MES a jeté un doute sur l’ampleur des besoins de recapitalisation des banques du pays. Enfin, malgré des améliorations, la conjoncture et le budget espagnol demeurent des sources d’inquiétudes.
Risque politique en Grèce
Il y a aussi la Grèce. La coalition au pouvoir a été très fragilisée par l’affaire de la fermeture précipitée de la radio télévision RTE. Or, si la coalition d’Antonis Samaras venait à tomber, de nouvelles élections mettraient encore en jeu la participation du pays à la zone euro et son désendettement. Actuellement, Syriza, la coalition de gauche, est toujours en dessous, mais très proche dans les sondages de la Nouvelle Démocratie et les néo-nazis dépassent les 10 % des intentions de vote. Surtout, Pasok et Dimar, les deux alliés de gauche d’Antonis Samaras sont en chute libre. Pour stopper cette chute, ils pourraient vouloir obtenir plus de concessions du gouvernement. Mais ce dernier est en difficulté, car il sait que même dans le meilleur des scénarios, il devra en passer par une restructuration.
Un trou de 2 milliards d’euros dès cette année dans les comptes grecs ?
Or, cette dernière pourrait arriver plus tôt que prévu : comme l’indique le quotidien grec Kathimerini, la BCE hésiterait à renouveler les créances grecques qu’elle détient après rachat sur le marché secondaire. Des banquiers centraux mettraient en garde contre le fait qu’un tel renouvellement de la part de la BCE enfreindrait l’interdiction de financer directement les Etats. Du coup, la Grèce pourrait avoir besoin de 1,5 à 2 milliards d’euros d’ici à la fin de l’année. Et l’on sait que le FMI doit disposer d’une visibilité de 12 mois pour continuer à participer au programme. Autrement dit, la Grèce pourrait devoir revenir au guichet européen rapidement. Dans ce cas, une troisième restructuration de la dette semble inévitable.
L’énigme OMT
Le programme OMT de la BCE qui prévoit le rachat illimité de dettes souveraines de la zone euro sur le marché secondaire reste un mystère. Mario Draghi ne cesse d’affirmer qu’il est prêt. Mais la publication du cadre légal se fait toujours attendre. Tout se passe comme si la BCE voulait surtout agiter la menace sans passer à l’acte. Récemment, Mario Draghi a prévenu : il ne rachètera pas de dette pour sauver un Etat. Un an après avoir été dégainée, cette arme pourrait bien commencer à s’émousser. Or, l’OMT n’a été efficace que parce qu’il a fait peur. S’il est testé, il risque de devenir pour la BCE ce qu’est le QE pour la Fed…
Ce faisceau d’indications et de craintes n’est pas de bon augure pour l’automne. Si Ben Bernanke perd son pari et que les marchés commencent à paniquer et à vendre en masse, la crise de la dette européenne pourrait bien connaître un nouvel épisode. D’autant qu’une épée de Damoclès de la décision, attendue en septembre, du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, continue à peser.