Avec son blog «Je reviens si», un journaliste italien se fait le porte-voix des milliers de jeunes diplômés italiens partis à l’étranger pour fuir la crise et un taux de chômage des 15-24 ans qui atteint 40,5%.
«L’idée est de servir de mégaphone à cette génération»: à l’heure où l’Italie s’émeut de voir ses jeunes diplômés émigrer en masse ,un journaliste, Antonio Siragusa, prête sa plume à des compatriotes partis aux quatre coins du monde mais prêts à rentrer «si…». Caustiques, parfois désenchantés, souvent nostalgiques, ils sont cinéaste à New York ou médecin à Paris. L’initiative de rassembler et publier leurs témoignages sur le blog «Iotornose.it » («Je reviens si») s’est imposée à Antonio à force de voir partir son frère, ses cousins, ses amis…
«Ils ont un point de vue intéressant sur l’Italie, qui n’est pas assez écouté. Ils peuvent proposer des changements inspirés de pays où l’on vit mieux»,
et se faire ainsi entendre de manière constructive, explique ce journaliste de 28 ans, originaire de Caserte, près de Naples. Et leurs expériences seront forcément utiles à d’autres, relève Antonio Siragusa, qui n’exclut pas lui-même de faire ses valises «si rien ne change».
«La situation est dramatique. En tant que (travailleur) précaire, je la ressens dans ma propre chair», dit-il.
«Je reviens si, pour me réaliser, je ne suis pas contrainte à des compromis frustrants ou illégaux»
Si les histoires que raconte son site ont pour toile de fond la récession qui étrangle le pays depuis deux ans, elles dénoncent aussi souvent une culture faisant la part belle au népotisme et à la corruption.
«Je voudrais rentrer en Italie car la qualité de vie y est meilleure, mais ici (en Belgique) j’ai un salaire dont je ne pourrais que rêver chez nous et mon travail est apprécié et reconnu»,
témoigne Michela Pascucci, 27 ans, qui travaille pour PriceWaterhouseCoopers à Bruxelles .
«Je reviens, même si je ne dois gagner que la moitié, du moment que c’est un travail digne», renchérit Natascia Musardo, 28 ans, doctorante à l’université de Mayence.
«Je reviens si, pour me réaliser, je ne suis pas contrainte à des compromis frustrants ou illégaux; si je suis en mesure (…) d’atteindre mes objectifs, même si je ne suis pas la «fille de», si l’Italie est prête à m’embaucher pour mon mérite et à préférer un autre s’il est meilleur que moi», égrène-t-elle.
«Après avoir vécu à l’étranger, et surtout dans un lieu comme la Silicon Valley, tu comprends que rentrer en Italie est possible, mais que le prix à payer est élevé. Si tu le fais, tu le fais pour le coeur, pas pour ta carrière»,
résume Gabriele Scoditti, 28 ans, contrôleur de projet à San Francisco.
316.000 jeunes cerveaux auraient quitté l’Italie entre 2000 et 2010
Le problème de la fuite des cerveaux n’est pas nouveau en Italie mais il a pris un relief particulier avec l’envolée du chômage chez les jeunes (40,5% des jeunes actifs de 15 à 24 ans en avril, 12% de la population active), et l’accent mis sur ce sujet par le nouveau gouvernement, dont son chef, Enrico Letta, manque rarement une occasion d’en parler. Début juin, il est allé jusqu’à présenter ses excuses auprès des jeunes.
«La dette la plus grande que nous sommes en train de contracter, répétant les erreurs des générations qui nous ont précédé, nous la contractons à l’égard des jeunes, c’est une erreur impardonnable»,
leur a-t-il écrit, promettant de «libérer les énergies d’un pays suffoqué par les privilèges, la bureaucratie et le conservatisme». Le gouvernement devrait présenter ses projets de réformes d’ici la fin du mois de juin.
Au final, «on a la photographie d’un pays qui exporte des cerveaux et importe des bras» et qui est «redevenu un pays d’émigration», regrette Gianluca Spina, président de l’école d’économie de l’institut Politecnico de Milan.
Mais contrairement aux vagues précédentes, il s’agit d’une «émigration de talents», note-t-il. Selon une étude citée par le journal La Stampa, ils seraient 316.000 jeunes cerveaux à avoir quitté l’Italie entre 2000 et 2010.
Le patron des patrons Georgio Squinzi parle d’un «cadeau» d’une valeur de 5 milliards d’euros (en coût de formation professionnelle) aux autres pays ces dernières années. «Nos concurrents nous remercient, incrédules», grince-t-il.