Henry Laurens, professeur au Collège de France, spécialiste du monde arabo-musulman, revient sur la perception de l’islam dans la société française, à l’occasion du début du ramadan.
Aux yeux de l’opinion française, le jeûne musulman bénéficie pourtant d’un regard positif, contrairement au port du voile et aux revendications sur le halal. Quelques politiques ont tenté malgré tout, ces derniers temps, d’ouvrir la controverse au sujet du ramadan, alimentant la crainte d’une islamisation de la société française.
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L’islam est-il une «nouveauté» en France et en Europe ?
En tant que tel, la présence musulmane n’est pas un phénomène nouveau en Europe. Depuis très longtemps, il existe un islam balkanique et dans les principaux pays européens, il y a toujours eu une petite présence musulmane. Le passage à une quantité numériquement importante a démarré dans les premières décennies du XXe siècle. En France, le symbole en est la construction de la Grande mosquée de Paris au début des années 20.
Aujourd’hui, nous ne sommes pas, de ce point de vue, face à l’importation d’une religion étrangère. En France, les populations musulmanes sont, au moins, de deuxième et de troisième voire de quatrième génération. Ce à quoi nous assistons, c’est plutôt à une institutionnalisation de l’islam sur le sol européen et son échec relatif.
Pourquoi cet échec ? Pourquoi la question de l’islam est-elle devenue aussi sensible ?
L’islamophobie est quelque chose de complexe, un racisme, de mon point de vue, «réactionnel». […] Le potentiel de «dangerosité» que pouvaient contenir le christianisme, voire le judaïsme, pour la vie sociale a été largement désamorcé dans la deuxième moitié du XXe siècle. L’islam apparaît, lui, comme une forme de religieux «non domestiqué» et donc potentiellement dangereux dans les actes de la vie quotidienne. […]
Y a-t-il des facteurs historiques qui aujourd’hui encouragent, en France, l’islamophobie ?
C’est certain. La mémoire de la guerre d’Algérie, par exemple. La société française comprend une composante non négligeable d’anciens pieds-noirs, un nombre supérieur au million de personnes. Dans la mémoire coloniale, il y a quelque chose du genre : «Ils nous ont foutus dehors ; on ne voit pas pourquoi ils sont là, en France !». Le complexe de supériorité coloniale du petit blanc pose aussi une sorte de ligne rouge, qu’il n’y ait pas de musulmans en position d’autorité.
Libération