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Les dérapages verbaux du premier ministre islamiste inquiètent une communauté qui compte encore quelque 15.000 âmes à Istanbul. Même – ou peut-être surtout – après le chapelet de propos racistes entendus au sujet de l’insurrection de Gezi, le parc de la place Taksim. Dans ses meetings, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qui est un coutumier des dérapages antisémites, accuse « le lobby du taux d’intérêt » d’être un des responsables de la révolte. « Évidemment, derrière, tout le monde entend le mot “Juif” » précise ce trentenaire.
Emboîtant le pas au chef du gouvernement, Melik Gökçek, le maire d’Ankara, ne s’est pas embarrassé de précaution oratoire. L’édile, membre du parti islamo-conservateur, a pointé du doigt « le jeu du lobby juif ». Et la semaine dernière, Besir Atalay, vice-premier ministre, a désigné « la diaspora juive ». Sur son site Internet, la Communauté juive de Turquie a réagi par un timide communiqué, exprimant la crainte qu’une « telle généralisation » ne désigne des Juifs comme « cible ».
En mer de Marmara, à une heure de vapur d’Istanbul, l’île de Burgaz est depuis le XIXe siècle un lieu de villégiature prisé de la communauté. Sur un balcon qui surplombe une impasse envahie de bougainvilliers violets, quelques amis sont regroupés autour d’un barbecue. « Bien entendu que le gouvernement n’aime pas les Juifs, ce n’est pas une découverte, déclare un ingénieur qui a turquifié son nom sur ses cartes de visite. Que cela soit dit aussi ouvertement, au plus haut niveau de l’État, a cependant quelque chose d’effrayant. » Dans leur vie quotidienne, ils disent ne pas être souvent confrontés à des réactions hostiles, qu’ils font tout pour ne pas les susciter. Entre deux brochettes, des anecdotes surgissent. « Une fois, un ancien patron m’a dit: “Cela m’est égal que vous soyez juive, nous sommes là pour faire du business, vous aurez votre punition lors du jugement dernier” », se souvient en rigolant une jeune fille.
(…) Ankara a également débloqué des fonds pour la restauration du camp d’extermination d’Auschwitz et la chaîne de télévision publique TRT a diffusé l’année dernière le film Shoah de Claude Lanzmann. Cette démarche fait de la Turquie une exception parmi les pays musulmans de la région.
Ce discours à deux niveaux exaspère Eli : « Le gouvernement s’imagine que s’incliner à Auschwitz lui donne le droit d’adopter ce ton-là. » Les digues ont particulièrement sauté depuis l’affaire du Mavi Marmara et la dégradation des relations turco-israéliennes. Le 31 mai 2010, neuf militants turcs ont été tués par l’armée israélienne lors de l’assaut d’une flottille qui faisait route vers Gaza. « Ce qui me dérange le plus n’est pas ce qu’a dit Besir Atalay, mais qu’aucun parti politique ni qu’aucune association des droits de l’homme n’ait réagi », poursuit ce quadragénaire établi dans le domaine culturel.
Les propos antisémites dans la presse ne sont jamais sanctionnés. Mardi, un édito du quotidien islamiste Takvim accusait les Juifs de Turquie d’être responsables des manifestations anti-Erdogan et du massacre de Frères musulmans au Caire. La logorrhée haineuse se termine ainsi: « De toute façon, vous n’avez jamais été turcs. »
(…) Le Figaro

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