De 1600 (époque de l’apparition de la monodie accompagnée et de la disparition des modes anciens, voir les articles précédents), à 1750, année de la mort de Bach, généralement admise comme marquant le début de l’époque dite “classique”, l’on peut constater une certaine unité de style.
L’utilisation des ensembles instrumentaux, qui deviendront peu à peu l’orchestre, du clavecin, le développement de la famille des “violes”, qui deviendront plus tard ce que l’on appelle le “quintette à cordes”, base de l’orchestre symphonique (violons 1, violons 2, alti, violoncelles et contrebasses), l’utilisation parfois poussée à l’extrême de l’ornementation, l’apparition de l’opéra (et de la “tragédie lyrique” en France), les prouesses vocales, surtout en Italie, puis l’apparition de la virtuosité instrumentale, la disparition des modes anciens au profit des deux modes majeur/mineur, la théorisation de l’harmonie sont autant de traits caractéristique de cette époque foisonnante.
Sans pouvoir aborder tous les compositeurs français baroques, je me propose, dans ce premier épisode, de vous faire découvrir Lully et l’ouverture du “Bourgeois Gentilhomme”.
“Le Bourgeois gentilhomme” est une comédie-ballet, créée le 14 octobre 1670, fruit d’une collaboration entre Lully et Molière. Si vous souhaitez plus de précisions sur cette œuvre, rendez-vous sur la page Wikipédia.
Lully, d’origine italienne naquit en 1632. Il arrive en France en 1646, et devient très vite le compositeur favori du roi Louis XIV. Il sera ensuite nommé “surintendant de la musique”, puis même secrétaire du Roi. Il fut naturalisé français en 1661, et devient Jean Baptiste de Lulli.
A l’époque, le ballet de cour est en vogue à Versailles. Il arrive que le roi lui-même danse en fin de spectacle. Les compositeurs en vogue à l’époque s’appellent entre autres Henry Dumont, Jacques Champion de Chambonnières, et, plus tard, Marc Antoine Charpentier, désigné un temps par Louis XIV pour succéder à Lully.
Ce dernier compose de la musique de ballet, parfois destinée à être dansée par le roi lui-même, avant de se tourner vers la “tragédie lyrique”, pendant de l’opéra italien. Il collaborera notamment avec Molière, qui l’appelait “le paillard” à cause de sa vie dissolue, à partir de 1664.
Bien que Louis XIV ait du mal à supporter ses “mœurs italiennes”(homosexualité), il restera en grâce toute sa vie auprès du Roi, et meurt le 22 mars 1687 d’une gangrène contractée suite à un accident pendant une répétition où il s’écrase le pied avec sa canne, qu’il utilisait pour battre la mesure.
Lully possédait en effet un caractère fougueux et une grande intransigeance en répétition, notamment sur le plan rythmique. C’est suite à un “coup de sang” du compositeur que cela se serait produit.
La musique de Lully est très représentative du premier style baroque français. rythmes pointés, aspect solennel pour décrire la magnificence du roi, ou des personnages de la tragédie, ouvertures et passages instrumentaux. Les moyens quasi-illimités de la Cour lui offrent en outre des possibilités jamais vues en ce qui concerne les décors, et “effets spéciaux” de mise en scène. Machineries, explosions, et même effets d’éclairages sont au rendez-vous!
“Lully a joué un rôle considérable dans l’histoire de la musique instrumentale. C’est de lui que date, on peut le dire, l’orchestre moderne, avec son équilibre bien établi de sonorités, avec le quintette des instruments à cordes pour centre de gravité (Lully écrivait à cinq parties d’instruments : dessus de violon (habituellement renforcés par les hautbois et les flûtes), hautes-contres de violon, tailles de violon, quintes de violon et basses de violon (renforcés par le clavecin, le théorbe et le basson). Il a dirigé l’ensemble des « 24 Violons du Roy ».” (Wikipédia).
Aujourd’hui, j’ai choisi une ouverture dite “à la française”. Contrairement à l’ouverture dite “à l’italienne”, vif/lent/vif, l’ouverture “à la française” est constituée d’une partie lente, solennelle, suivie d’une partie vive, souvent écrite en “fugatto” ou canon, héritage de la technique “en imitation”, abordée la semaine dernière, et, le plus souvent, retour de la partie lente du début. Soit Lent/vif/(lent).
Peu à peu dans l’histoire de la musique, l’ouverture d’opéra prendra de l’importance, en signification musicale et en durée, pour arriver, fin XIXe, par exemple, au prélude de Wagner, véritable condensé de l’action à venir, et véritable œuvre d’art à part entière, comme les préludes de Tristan und Isolde ou de Parsifal. En réaction à cette hypertrophie de l’ouverture, Debussy, dans Pelleas et Melisande, la fera presque disparaître.
Mais revenons à la pièce du jour. L’analyse sera moins technique que d’habitude, car sans partition. Écoutez tout d’abord la pièce de bout en bout. Le langage musical est maintenant très familier, n’est-ce pas?
Cela tient au fait que dorénavant, seuls deux modes sont utilisés: le mode majeur et le mode mineur. Autre caractéristique, toute la musique est écrite, c’est à dire que c’est la fin de la musica ficta. Si une note doit être chantée dièse, elle sera notée dièse. Il n’y a plus de place pour la liberté à ce niveau là.
Pour comprendre ce qu’est un mode majeur, rien de plus facile. C’est notre ancien mode de do. Jouez sur un piano toutes les notes blanches comprises entre un do et un autre do. SI vous utilisez dans votre musique uniquement des notes de cette échelle, et que vous insistez souvent sur des do, on dit que l’on est “en do majeur” (que les harmonistes me pardonnent pour ces imprécisions).
Certaines notes du mode peuvent être modifiées, mais pas à l’époque de Lully.
Pour le mineur, jouez toutes les notes blanches du piano entre un la et un autre la, c’est le mode mineur.Si dans votre musique, vous insistez sur les la, et que vous n’utilisez que les notes blanches du piano, vous êtes en la mineur. C’est un peu plus compliqué en réalité.
Certaines notes de ce mode peuvent ou doivent être modifiées selon le contexte pour créer des tensions: (“sensible tonale” (sol dièse), “mélodique ascendant” (fa dièse suivi de sol dièse et la), ou deuxième note abaissée: harmonie “napolitaine” (si bémol)). Pour simplifier, le mode mineur se “bricole” plus que le mode majeur.
Toujours pour simplifier, on disait en solfège “le mineur, ça sonne triste, et le majeur, gai”. Cette définition a été raillée ensuite, car soit disant “trop simpliste“, mais elle est pourtant vraie en général. Cela tient au fait que l’accord majeur est plus naturel que l’accord mineur (souvenez-vous de notre spectre harmonique, la résonance naturelle d’une note, qui donne un accord majeur).
L’extrait d’aujourd’hui est en mineur. Même si le rythme de la deuxième partie est dansant, l’on sent une certaine tension, un petit côté tragique, vous ne trouvez pas?
La pièce est en deux parties, chacune reprise:
Partie 1
a: jusqu’à 0’27
reprise de a: jusqu’à 0’53
Partie 2
b: jusqu’à 1’55
reprise de b, jusqu’à la fin.
La première partie est solennelle, “fastueuse”, évoquant une marche majestueuse, peut-être l’entrée du roi. Cela tient, certes, au tempo lent, mais aussi aux rythmes pointés. Pour réemployer un vocabulaire médiéval, longue, brève, longue, brève, longue, etc. Cela tient également aux très nombreuses trilles, entre autres, l’ornementation à outrance étant typique de l’époque baroque.
Cette partie se termine, à 0’53, par ce que l’on appelle un “repos sur dominante”, ou “demi-cadence”. C’est “suspensif”, par opposition à une cadence “conclusive”, comme à la fin. Ne cherchez-pas à comprendre pour l’instant, écoutez juste cet accord majeur, comme suspendu, avant le début de la deuxième partie. On l’appelle “accord de dominante”.
Cette deuxième partie est très différente de la première, n’est-ce pas? La première était très syllabique, “verticale”, et la deuxième est plus “contrapuntique”, les voix dialoguent entre elles.
Cette deuxième partie est basée sur les imitations, que vous connaissez déjà depuis la semaine dernière, avec Josquin.
Écoutez les différentes voix qui se répondent sur le même motif, comme en canon.
Il s’agit d’une écriture de type “fugatto”, de la même famille que le verbe français “fuir”. Le fugatto est une petite partie écrite en canon, plus ou moins rigoureux, généralement de rythme vif.
Battez la mesure de cette deuxième partie. Première remarque: chaque pulsation est divisible en trois, n’est-ce pas? On dit que l’on est “en ternaire”. Si c’était deux, ça serait “binaire”. Mais parfois, la rythme devient bizarre, comme de 1’10 à 1.12…
Que se passe t-il? On appelle cela une “hémiole”. Vous pouvez vous contenter d’écouter, et de reconnaître, et si vous voulez savoir de quoi il s’agit, voici l’explication:
Dans cette deuxième partie, on peut diviser le temps comme cela, par exemple:
123 456 123 456, les chiffres en gras indiquant les temps forts, environ un temps par seconde. Vous me suivez?
Une hémiole, c’est, à la fin d’une phrase musicale en ternaire, de mettre les accents non plus sur 1 et 4, comme dans notre exemple, mais d’accentuer comme cela: 12 34 56, c’est à dire de mettre un peu de binaire dans le ternaire, juste pour marquer la fin d’une phrase musicale. Et c’est un tic de l’époque baroque, un peu comme notre cadence double sensible à la fin du moyen-âge!
On retrouve des hémioles un peu partout dans la deuxième partie: à 1’29, à 1’40, à 1.51, par exemple. Vous les entendez, à présent?
Rythmes pointés, ornementation, structure lent/vif avec reprises, hémioles, écriture en fugatto sont les traits caractéristiques de cette musique, dont on sent qu’elle était faite pour la danse, ou en tout cas, fortement inspirée par elle.
Lully – Marche pour la cérémonie des Turcs
Si vous avez suivi ma petite chronique depuis le début bravo! Vous commencez à posséder des éléments de compréhension du langage musical.
A votre disposition pour vos questions. Bonne semaine!