Dès le début du XVIIe siècle, l’on assiste en France à une floraison de clavecinistes compositeurs tels que Domont, Frohberger, Champion de Chambonnières, De la Guerre, Delalande, Louis Couperin (l’oncle de François), etc.
C’est le premier âge d’or de la musique française. En grande partie sous le règne de Louis XIV, celle-ci va se développer et s’affiner jusqu’à devenir une source d’inspiration pour les compositeurs du monde entier.
L’ornementation devient une science, et les nouveaux traités d’harmonie, après celui de Zarlino, notamment celui de Jean Philippe Rameau, vont marquer l’arrivé de cette technique à égalité dans le raffinement avec le contrepoint, déjà théorisé depuis longtemps.
François Couperin, claveciniste, mais aussi organiste à l’église Saint Gervais à Paris, composera de nombreuses œuvres vocales et instrumentales, sacrées et profanes, mais ce sont ses pièces pour clavecin qui vont le faire entrer au Panthéon de l’histoire de la musique.
Entre 1707 et 1730, François Couperin compose quatre livres de pièces pour clavecin. En 1716, il écrit un traité, “L’art de toucher le clavecin», qui détaille toutes les nuances subtiles d’interprétation à cet instrument.
A l’époque baroque, la mode est à la “suite”. Une suite est une succession de pièces de rythmes et d’esprit différents, portant des noms de danses, mais déjà plus destinées à être dansées. La suite typique est constituée de: Prélude, Allemande, Courante, Sarabande, Gigue.
Couperin donne à ses suites le nom d'”ordres”, et donne fréquemment aux pièces qui les constituent des noms descriptifs. Il vivra jusqu’en 1733.
La pièce d’aujourd’hui s’intitule “Le rossignol en amour», est extraite du troisième volume des pièces pour clavecin.
Comme d’habitude, commencez par écouter la pièce de bout en bout (seulement la première)!
La densité des ornements frappe l’oreille. Trilles, mordants, gammes fusées, etc sont partout présents.
Les petits signes qui ressemblent à des oiseaux (mordants) indiquent que l’on doit attaquer le son sur la noté écrite, et faire un “aller-retour” avec la note juste en dessous.
La petite “vague” signifie que l’on doit attaquer par la note juste au dessus de le note écrite, et faire de rapides “aller-retours”entre les deux (trille).
Les lignes droites qui relient deux notes veulent dire qu’il faut jouer rapidement toutes les notes de la gamme comprises entre les deux notes écrites (port de voix).
Enfin, à 2’25, à la main gauche, il s’agit d’un “groupetto”. Écrit comme cela, on commence par la note en dessous de la note écrite, puis la note écrite, puis la note juste au dessus, puis retour sur la note écrite, le tout très vite.
Ces ornementations incessantes donnent une impression de “maniérisme”, qui fait sans doute écho aux manières raffinées de la Cour, jeux de mots, calembours etc. qui étaient alors en vogue à Versailles. Notez également les nuances d’interprétations, notées avec soin et précision.
Évidemment, ce type d’écriture très orné est particulièrement adapté à l’imitation du chant des oiseaux.
La structure de la pièce est simple. Deux parties avec reprise, et une dernière petite partie, conclusive, qu’on appellera plus tard “coda”, elle-même reprise.
SI l’on élimine la petite coda, la structure de base (deux parties chacune reprise) constitue ce que l’on appelle la “forme suite”, caractéristique de l’époque baroque, et que l’on retrouve dans la plupart des pièces.
Entrons un peu dans la musique. Petite remarque, la fausse entrée en imitation que vous avez sans doute remarquée au début. Il s’agit juste des deux premières notes, mais Couperin fait croire à un début de canon, vous ne trouvez pas? Il n’en est en fait rien.
Concernant la tonalité, observez les deux dièses à la clé. Il s’agit d’un fa et d’un do. Cela veut dire que dans notre pièce, sauf indication contraire, tous les “fa” et tous les “do” seront dièses. Vous me suivez?
Maintenant, jouez sur un piano toutes les notes blanches entre un do et le do au dessus. Vous avez la gamme de do majeur, n’est-ce pas? Et bien si vous voulez le même modèle exactement, mais avec un fa et un do dièse, il faut partir sur un ré.
Allez-y… ré, mi, fa dièse, sol, la, si, do dièse et ré. Vous comprenez? Vous avez transposé le mode de do (mode majeur) sur ré. On dit qu’on est “en ré majeur”. SI vous voulez une preuve, prenez toujours la dernière note de la pièce à la voix la plus basse, elle donne le nom de la tonalité. (Ça marche à 99%) !
A 3’07, la basse joue un ré, pour finir la pièce. Ne parlons pas pour l’instant des cas où l’on est en mineur pour ne pas surcharger.
Évidemment, en cours de morceau, on va changer de tonalité. On appelle cela “moduler”, en référence aux modes anciens, que vous connaissez si vous avez suivi ma chronique. Mais toujours, nous reviendrons à la fin de la pièce à notre tonalité de départ.
C’est toute la richesse de la musique tonale (musique qui utilise le majeur et le mineur): Jusqu’où aller, comment, et comment revenir “à la maison” en beauté et en respectant la rythmique et le naturel de la pièce.
Je ne peux pas entrer dans les détails, bien entendu, mais je suis à votre disposition pour toute question.
On reconnaît souvent dans une partition le fait que l’on a changé de tonalité à la présence d’altérations dites “accidentelles”, autrement dit, des dièses, des bécarres et des bémols qui n’étaient pas écrits à la clé. C’est la cas par exemple aux mesures 6 et 7, où vous voyez l’apparition de sol dièses, en plus des fa et des do déjà dièses car à la clé.
Si l’on a des fa, des do et des sol dièses, on est alors an la majeur, et plus en ré majeur. Pour vous en convaincre, jouez sur un clavier les notes: la, si, do dièse, ré, mi, fa dièse, sol dièse, et la. Voilà notre échelle majeure transposée sur la.
Pour faire sentir à l’auditeur qu’on a changé de tonalité, ou “modulé”, il y a certaines choses à faire entendre, mais cela dépasse largement le cadre de cette petite chronique.
Voici une autre pièce de Couperin, magnifique, et de forme “suite” également:
En voici une autre, interprétée au piano, ce qui donne une impression de modernité, par le grand Alexandre Tharaud:
Enfin, pour vous faire découvrir une autre facette de l’œuvre de cet immense compositeur, voici la «Troisième leçon des ténèbres», écrite par Couperin pour les liturgies du mercredi Saint de 1714 à l’abbaye de Longchamp. Cette œuvre est considérée par les musicologues comme l’un des sommets de l’art vocal de l’époque baroque.
Bonne semaine à tous!
Relire le premier article sur l’époque baroque consacré à Lully.