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Nous achevons notre promenade dans le baroque français avec Jean Philippe Rameau (1683-1764).
Pour faire pendant à la musique italienne, et à l’opéra, véritable passion dans ce pays, la musique française développe un style propre, et, dans la tradition de Lully et de ses comédies lyriques, et opéras ballets, sa propre tradition lyrique.

Pendant la première partie de sa carrière lyrique (1733-1739) Rameau écrit ses grands chefs d’œuvre destinés à l’Académie royale de musique : trois tragédies en musique et deux opéras-ballets qui composent encore aujourd’hui le fonds de son répertoire.

Après l’interruption de 1740 à 1744, il devient musicien officiel de la cour et compose essentiellement dans le registre des pièces de divertissement faisant une part prépondérante à la danse, à la sensualité, à un caractère pastoral idéalisé avant de revenir, à la fin de sa vie, aux grandes compositions théâtrales dans un style renouvelé (Les Paladins, Les Boréades).” (Wikipédia)

Rameau compose également pour orchestre, et clavecin.

Sa hardiesse harmonique provoque souvent des incompréhensions de la part du public, et même de ses interprètes, comme pour son célèbre “Trio des Parques” d’Hippolyte et Aricie, qu’il doit retirer après les premières représentations car les chanteurs ne parviennent pas à l’interpréter correctement!
Rameau théorise l’harmonie, c’est à dire l’art d’enchaîner les accords, dans ses différents traités:
Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels (1722), Nouveau système de musique théorique (1726), Génération harmonique (1750), et Démonstration du principe de l’harmonie servant de base à tout l’art musical théorique et pratique (1750).
Aujourd’hui, je vous ferai découvrir un extrait des “indes galantes”. Je me permets de citer à nouveau Wikipédia, n’ayant rien de plus à ajouter:
Les Indes galantes est le premier des six opéra-ballets de Jean-Philippe Rameau. Il est composé d’un prologue et de quatre entrées, sur un livret de Louis Fuzelier. Cette œuvre est généralement considérée comme la plus représentative du genre de l’opéra-ballet.
L’œuvre a été créée le 28 août 1735; c’est la deuxième composition de Rameau pour la scène, après la tragédie lyrique Hippolyte et Aricie. Elle ne comportait alors que trois entrées, la dernière n’ayant été ajoutée qu’un peu plus tard, lors d’une représentation le 10 mars 1736.
Cette structure à géométrie variable est permise par l’esprit de l’opéra-ballet, ou l’on ne parle pas d’actes, mais d’entrées, pour bien marquer que les différentes parties n’ont entre elles qu’une analogie thématique, et ne constituent en rien une intrigue suivie.
Voici l’argument de la pièce “Les Indes galantes“.
Et voici la célèbre “Danse du grand calumet de la paix“:

Écoutez la pièce une première fois. C’est une forme qu’on appelle “ABACA…”, autrement dit, une forme “à refrain”. A est le refrain, et B, C, etc. sont les couplets.
C’est une des formes les plus anciennes de la musique. Souvenez-vous de notre forme “rondeau” de l’époque médiévale. C’est l’ancêtre de cette structure. La forme à refrain s’appelle à partir de l’époque classique, soit à partir de 1750 environ, forme “rondo”.
Elle sera utilisée de manière quasi-systématique dans les derniers mouvements, rapides et de caractère souvent populaire, de concertos, symphonies, sonates par Mozart, Haydn etc.
Dans notre pièce, il s’agit également de souligner le caractère simple et populaire de la danse.
Même si le rythme est entraînant, vous avez peut-être reconnu le mode mineur, qui, ici, donne à cette danse une certaine majesté, un caractère solennel.
Vous avez également reconnu, comme chez Lully, la présence de rythmes pointés. longue/brève/longue/brève/longue, etc.
Pour ceux qui savent lire la musique, observez que ce sont des croches qui sont écrites, et pourtant, les interprètes jouent croche pointée/double/croche pointée/double, etc.
Cela donne un effet dansant, justement.
C’est un peu comme le “swing” dans le jazz. En musique baroque, certains pensent, sur la base de travaux de musicologues, que c’est ainsi que la musique était jouée. On “pointait” systématiquement. Mais sur ce point, les interprètes ne sont pas d’accords, et on trouve des versions avec les croches jouées rigoureusement.
Rentrons un peu dans la musique elle-même.
Aujourd’hui, je vais revenir sur la notion d'”accord de dominante” et “accord de tonique”, qui sont les piliers du système tonal, ce langage musical qui utilise le majeur et le mineur.
Écoutez les quatre premières mesures de la pièce.
C’est un peu comme si on dansait, en étant parfois “en l’air”, comme suspendu, parfois, “en bas”.
Par exemple, la première mesure est “en bas”, la deuxième est “en l’air”, la troisième, à nouveau “en l’air”, et la quatrième, “en bas” à nouveau, n’est-ce pas?
Quand on est “en bas”, avec l’impression d’être reposé par terre, c’est l’accord de tonique, ou “premier degré”. C’est l’accord qui est construit sur la base de la première note du mode. Cette pièce est en sol mineur, donc l’accord de tonique sera l’accord de sol mineur.
Même si ça n’est pas l’ explication réelle, on dit qu’un accord parfait est une “pile de tierces“. Par exemple un accord de sol mineur sera Sol/SI bémol/Ré. Et on peut faire des piles de tierces sur n’importe quelle note de la gamme. On appelle cela des “degrés”.
Quand on a l’impression d’être “en haut”, ou suspendu, c’est l'”accord de dominante”, ou cinquième degré. Comme on est en sol mineur, on compte jusqu’à cinq en montant les notes de la gamme, et en comptant le sol de départ, sol, la, si, do, et ré. L’accord bâti sur le ré est ce cinquième degré, ou “accord de dominante”. Encore une pile de tierces: ré/fa dièse/la.
Vous vous souvenez de notre “repos sur dominante” de Lully, et de cette impression d’inachevé? Maintenant, vous en savez un peu plus. On dit que l’accord de dominante, si on s’arrête dessus, provoque un effet “suspensif”, et l’accord de tonique, un effet “conclusif”.
Qu’on soit en majeur ou en mineur, l’accord de dominante est toujours un accord majeur. Comme son nom l’indique, il est l’accord le plus important, car il nous fait “nous sentir” dans une tonalité donnée. Quand tout à coup, on fait entendre l’accord de dominante d’une autre tonalité, c’est le moyen de changer de tonalité, ou “moduler”. Lisez seulement ces informations, comme d’habitude, et laissez vous porter par la musique.
Ces quatre mesures forment un petit extrait, comme un mini-morceau, vous me suivez?
On dit que la “carrure” est de quatre mesures. Comme un grand 1, 2, 3, 4.
Continuons la petite analyse du refrain. A la fin de notre groupe de 4 mesures, un autre groupe de 4 mesures, et à la mesure 8, on arrive sur un beau repos sur dominante! On appelle aussi cela “demi-cadence”.
Ensuite, comme une mini-reprise de quatre mesures, et à la mesure 16, on arrive sur une conclusion, donc un accord de tonique. Vous voyez deux choses:
1. Tout marche par quatre ou 8 mesures, et le tout semble très “carré”.
2. Les accords de tonique et de dominante structurent le discours musical, comme une sorte de balancement.
Après une reprise du refrain, on arrive à 0.43, au premier couplet. Vous entendez qu’on est passé en majeur, c’est tout de suite plus gai, non?
En fait, on est passé dans une tonalité majeure très proche de notre sol mineur initial. On appelle cela le “relatif majeur”. Essayez de sentir cette transition, toute en douceur.
Le “relatif majeur” de sol mineur est si bémol majeur. Il utilise les mêmes notes de la gamme, mais en plaçant les accords de dominante et de tonique à d’autres endroits, en insistant sur d’autres accords et notes, si vous préférez. L’accord de tonique en si bémol majeur sera un accord de si bémol majeur, soit si bémol/ré/fa, et l’accord de dominante sera fa/la/do.
Rameau va jouer sur ces deux accords pendant la majorité du premier couplet, qui ressemble un peu au refrain, mais en majeur.
Ensuite, le refrain revient. Notez déjà les éléments d’orchestration suivants:
Pour le refrain, l’orchestre complet, donc les cordes et les bois sont utilisés, et le clavecin au fond (basse continue).
Pour les couplets, moins d’instruments, plus de bois, mais seulement les cordes et le clavecin. Quand le refrain arrive, c’est donc plus fort, parce qu’il y a “plus de monde” qui joue. En orchestration, on appelle cela “crescendo par ajout d’instruments”.
A 1.26, la partie la plus intéressante harmoniquement. La musique est plus tendue, n’est-ce pas? Il s’agit d’une écriture “chromatique”, qui se déplace par demi-tons. Le demi ton est le plus petit intervalle possible. Par exemple entre un do et un do dièse. Regardez au début de cette partie, les deux voix intermédiaires descendent par 1/2 tons, d’où cette impression de dissonance.
On fait “passer” des notes étrangères à notre gamme de sol mineur, qui donnent à l’auditeur l’impression qu’il ne sait plus dans quelle tonalité il est. En fait, Rameau “module”, change de tonalité, et sait très bien où il est, mais cela dépasse nos compétences techniques actuelles!
En plus, pour ajouter au sentiment d’instabilité, Rameau utilise des “syncopes”, comme à la deuxième mesure de ce couplet, toujours aux voix intermédiaires: noire/blanche/noire, ou brève/longue/brève. Écoutez, et familiarisez-vous avec cette notion de syncope. C’est le fait de décaler les notes des accents “normaux”, pour faire simple.
Ensuite, le refrain revient jusqu’à la fin.
Voila pour les notions que je voulais partager avec vous aujourd’hui. On arrive peu à peu dans la période classique. La musique se fait plus simple dans le contrepoint, même si Mozart par exemple en reste un maître, et l’utilisera, mais exprime plus fortement l’harmonie.
L’orchestration devient recherchée et subtile, la “carrure” par 4 apparaît dans la musique savante, héritée de la danse. Les chromatismes et modulations hardies apparaissent. La forme à refrain est très utilisée. Les rythmes sont encore pointés dans la tradition baroque.
Comme Beethoven est à cheval entre classicisme et romantisme, Rameau l’est un peu entre baroque et classique.
Le clavecin reste omniprésent dans la musique. Il disparaîtra progressivement jusqu’au début du XIXe siècle.
Voici une pièce amusante et toujours bien écrite de Rameau, jouée au piano.

Écoutez “Les Indes galantes“, notamment le trio des Parques:

Encore merci pour vos commentaires et encouragements!
Bonne semaine à tous!
Bonus – Rameau: Vingtième anniversaire des Musiciens du Louvre (Durée 2 heures 17)

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