Le Romantisme est un mouvement littéraire, pictural et musical apparu au début du XIXe siècle. En musique, cette période est marquée par une expansion de l’orchestre, une harmonie de plus en plus savante et tendue, un tempo qui peut être élastique (rubato), une plus grande variété dans l’utilisation des combinaisons d’instruments, et bien sur, une grande expressivité.
En réaction à la froide raison, en vogue pendant la période précédente, le Romantisme met en valeur la religion, le mysticisme, l’amour, la beauté, la mort, l’émotivité, la sensibilité, parfois jusqu’au délire, comme dans le conte L’homme au sable de Hoffman, mais aussi l’individualisme et un intérêt démesuré pour sa propre sensibilité.
Le compositeur “à son compte” apparaît et s’impose même comme la règle, l’artiste devient un être indépendant, échappant à la domination d’un prince, mais pas à ses démons intérieurs, ni, bien souvent, à la pauvreté.
Mais les prémices de cette esthétique romantique se trouvent avant, notamment dans l’ouvrage Les “Souffrances du jeune Werther” de Goethe (en allemand “Die Leiden des jungen Werthers“). Il s’agit d’un roman épistolaire. La première édition est parue en 1774 ; une version remaniée et légèrement augmentée paraît en 1787 à l’occasion de la publication des œuvres complètes de l’auteur.
Les “Souffrances du jeune Werther” fut le premier roman de Goethe, et reçut un succès incroyable dès sa sortie apportant de cette sorte à son auteur, du jour au lendemain pour ainsi dire, une richesse et une notoriété considérables, en Allemagne d’abord, dans toute l’Europe ensuite. Le livre fut publié anonymement et parut à l’automne 1774 à l’occasion de la foire du livre de Leipzig, et fit donc beaucoup de bruit.
La première édition est à classer dans le “Sturm und Drang” (en français “Tempête et Élan“, mouvement presque exclusivement allemand précurseur du romantisme), la version remaniée est un exemple du classicisme de Weimar. Les actions du protagoniste, déterminées par ses sentiments, font de l’œuvre un exemple représentatif de l’Empfindsamkeit. (Wikipédia)
Georges montre très tôt des dons pour la musique et entre au Conservatoire de Paris à l’âge de neuf ans, dans la classe de piano de Marmontel. Il y obtiendra un second prix de piano en 1851, puis un premier prix en 1852. La même année, il entre dans la classe d’orgue de Benoist.
En 1853, il entre dans la classe de composition de Jacques Fromental Halévy, auteur de nombreux opéras dont La Juive et qui a compté Charles Gounod parmi ses élèves. Le jeune Bizet obtient un second prix d’orgue et de fugue en 1854, puis un premier prix en 1855. Il travaille également avec Pierre Zimmermann, le prédécesseur de Marmontel au Conservatoire.
À l’automne 1855, âgé d’à peine dix-sept ans, il compose en un mois sa première Symphonie, en ut majeur, œuvre d’une grande vivacité, inspirée par la Première Symphonie de Gounod, dont il vient de publier une version pour piano à quatre mains.
Sa symphonie en ut n’a été redécouverte qu’en 1933 dans les archives du Conservatoire de Paris et n’a été créée que deux ans plus tard à Bâle. En 1856, son opérette “Le Docteur Miracle” (créée le 9 avril 1857) remporte le premier prix du concours d’opérette.
L’histoire de Carmen
En 1875, il s’installe dans le petit village de Bougival pour terminer l’orchestration de Carmen et honorer cette nouvelle commande de l’Opéra-Comique qui voulait « une petite chose facile et gaie, dans le goût de notre public avec, surtout, une fin heureuse » (cité par les Amis de Georges Bizet).
Le musicien appréciait le calme du site au bord de la Seine. Il faudra toute la ténacité de Bizet et de Ludovic Halévy, son librettiste, pour convaincre le directeur de l’Opéra Comique d’accepter cet opéra si différent de ses aspirations !
Après trois mois de travail sans répit et 1.200 pages de partition, Carmen, son chef d’œuvre, est prêt et son superbe livret est de Henri Meilhac et de Ludovic Halévy qui ont écrit les livrets des plus célèbres opérettes de Jacques Offenbach, La Belle Hélène, La Vie parisienne, La Périchole.
Bizet assiste à toutes les répétitions qui se révèlent épuisantes: il se heurte aux chanteurs qui n’ont pas l’habitude de bouger en scène et de jouer leurs personnages avec le naturel que Bizet attend d’eux, aux musiciens qui trouvent cet opéra trop difficile et toujours à la mauvaise humeur du directeur exaspéré par le thème de la pièce qu’il trouve indécent.
Le 3 mars 1875, il est fait chevalier de la Légion d’honneur, le jour de la première de Carmen qui se révèle être un désastre. Les musiciens et les choristes sont médiocres, les changements de décor prennent un temps considérable si bien que la salle se vide peu à peu.
Le public et la critique sont scandalisés par cette histoire sulfureuse que la presse du lendemain condamne au nom de la morale. Bizet en est bouleversé. Il contracte une angine mais décide contre tous les avis de se réfugier dans sa maison de Bougival.
Le 29 mai 1875, il se baigne dans l’eau glacée de la Seine et est pris dès le lendemain d’une crise aiguë de rhumatisme articulaire. Lors d’une représentation, Bizet a une rupture d’anévrisme au moment où Mme Célestine Galli-Marié, chantant pour la trente-troisième fois de l’année le “trio des cartes”, au troisième acte, retournait « la carte impitoyable qui dit toujours: la mort ! ».
Il meurt à l’âge de 36 ans dans la nuit du 2 au 3 juin. S’il est peut-être exagéré de voir dans l’échec de Carmen, la cause directe de la mort de Bizet, il faut bien reconnaître que les circonstances de ce décès semblent relever de la malédiction : Carmen fut créée le troisième jour du troisième mois de l’année. Trois mois plus tard, le trois juin, il succombe à un infarctus. (Wikipédia)
Je ne peux malheureusement pas vous proposer une analyse de Carmen dans le cadre de cette modeste chronique, mais évidemment, je vous proposerai en “bonus” un extrait de ce monument de l’Histoire de la Musique.
Aujourd’hui, intéressons-nous au deuxième mouvement de la Symphonie en Ut (Do majeur).
Souvenez-vous: nous avons parlé des derniers mouvements, rapides, et de leur forme rondo (ABACA, etc.), des premiers mouvements, et de leur forme sonate (expo, dev, rééxpo).
Aujourd’hui, je voudrais vous parler de la structure des mouvements lents; mouvements lents de sonates, symphonies, concerti.
Il s’agit souvent du deuxième mouvement, mais parfois du troisième si l’œuvre en comporte quatre.
La forme est très simple. Elle s’appelle la forme lied, du nom des mélodies allemandes classiques accompagnées au piano de la fin du XVIIIe et surtout du XIXe siècles, comme en a écrit Schubert, par exemple, et qui ont souvent cette structure ABA’. Dans la musique symphonique, la forme lied s’exprime comme ceci:
A: au ton principal
B: au relatif majeur ou mineur, ou au ton de la dominante.
A’(car un peu différent de A): au ton principal
Et une petite CODA, en général, moins longue que dans une forme sonate.
Écoutons notre deuxième mouvement de la symphonie en ut:
Comme d’habitude, écoutez sans à priori, mais avec concentration.
Vous devez avoir remarqué les couleurs de l’orchestre, l’utilisation variée et très à-propos des différents instruments. Cela s’appelle l'”orchestration”. et c’est ce dont nous allons parler aujourd’hui.
Et gardez à l’esprit que Bizet n’a que dix-sept ans! Et il est déjà maître en la matière.
Essayer de battre la pulsation. Elle est lente, et se divise en trois. On est en “ternaire”.
Vous avez entendu un solo de hautbois, qui joue le thème principal au début et à la fin. Le hautbois est un instrument à anche double, c’est à dire que 2 morceaux de bois résonnent ensemble, d’où le son un peu nasillard. Plus grave que le hautbois, dans la même famille, c’est le cor anglais.
Vous avez aussi entendu une espèce de guitare au fond, qui marque le rythme. Il s’agit des cordes (la famille des cordes comporte les violons 1 et 2, alti, violoncelles et contrebasses), Les cordes sans les contrebasses) jouent ici en “pizzicati”, c’est à dire en pinçant les cordes avec les doigts, sans utiliser l’archet. La hautbois a un rôle mélodique, et les “pizz”, le rôle rythmique, comme on dit en orchestration.
Voici la structure de la pièce.
INTRO qui annonce mélodiquement le début du premier thème, comme un appel.
A: à 0’50: solo de hautbois, accompagné par les bois, cordes en pizz, c’est le premier thème, en la mineur. Un thème presque un peu orientalisant, comportant des chromatismes (voir épisode précédent) des ornements (ceux-ci s’appellent grupetti) qui lui confèrent un caractère mystérieux.
Puis les vents entrent, et à 1’48, on passe en do majeur, “relatif majeur” de la mineur. C’est très facile à comprendre. Un relatif est la tonalité mineure si on est en majeur, et majeure si on est en mineur, qui utilise les mêmes notes. Elle est donc très proche au niveau du ressenti.
Par exemple ici, do majeur n’utilise que les touches blanches du piano, et la mineur aussi. On dit que la mineur est le relatif mineur de do majeur, et inversement, do majeur est le relatif majeur de la mineur. Je simplifie, mais voici le principe.
Le relatif est toujours à distance d’un ton et demi au dessus ou en dessous de son “voisin” majeur ou mineur. Au dessus si on est en mineur, en dessous si on est en majeur. A l’oreille: l’arrivée dans le relatif majeur fait l’effet d’un “lever de soleil”, mais sans bouleversement harmonique (excusez le caractère trivial de cette description, mais il me semble qu’elle peut être utile).
La famille des bois, c’est généralement dans l’orchestre symphonique début XIXe :
– 2 flûtes, (la 2e flûte prenant le piccolo si nécessaire)
– 2 hautbois (2e hautbois prenant cor anglais si nécessaire)
– 2 clarinettes
– 2 bassons
Pour avoir la famille des vents, on rajoute les cuivres:
– 2 cors
– 2 trompettes,
– 2 trombones
– Éventuellement, tubas.
A 2’00, retour du thème de hautbois, avec de petites interventions de la flûte.
A 2’25, les violons entrent doucement en jeu normal, c’est à dire avec l archet.
B: à 2’43, le deuxième thème, très lyrique est annoncé. Joué aux cordes, en octaves. C’est la manière d’orchestrer les mélodies de Verdi, et surtout Puccini, ou comme ici, à 5’30 le deuxième thème du premier mouvement de la symphonie “pathétique” de Tchaïkovski. Ce dernier, comme Bizet, est fortement influencé par le caractère lyrique de l’opéra italien.
Les violons 1 jouent la mélodie à l’octave aigüe, violons 2 une octave en dessous, et si on veut encore plus lyrique, violons alti encore une octave en dessous. Tout ce petit monde jouant la même mélodie!
Ce système de doublures donne un côté très “sucré” à une mélodie, presque “hollywoodien”. Comme un lac dont on voit le fond, alors que sinon, si seuls les violons 1 jouaient la mélodie, on ne verrait que la surface.
Chacun son rôle dans ce deuxième thème
Le reste des cordes en pizz: rôle rythmique, bois et cuivres, rôle harmonique (faire entendre les accords) et rôle de “liant” (si on n’a pas de “liant”, l’orchestration sonne sèche et hachée. En général, les cors sont mis à contribution pour ce rôle), et violons et alti, rôle mélodique. Vous me suivez?
A 4’43, changement complet d’atmosphère: le tempo devient vif. Il s’agit d’un “fugatto”, passage en canon qui n’a pas la rigueur d’une fugue, mais qui est écrit, en quelque sorte “à l’ancienne” (souvenez-vous Josquin et ses imitations). Bizet montre ses compétences techniques dans le domaine du contrepoint. Le thème entre aux différentes voix, comme il se doit.
A 5′ 29, notez une entrée au basson. C’est le plus grave des bois (à l’exception du contre-basson, plus rarement utilisé. Il est peu véloce. Ne rentrons pas trop dans les détails de ce fugatto, mais constatez l’écriture en canon. Le fugatto fait partie de notre grande partie B.
A 5’52 c’est comme si le temps se suspendait. En réalité, il s’agit d’une “pédale”. C’est à dire que comme à l’orgue, une note est tenue. Ici, un mi, fondamentale de l’accord de dominante de notre tonalité principale: la mineur, qui va revenir. Ce mi est omniprésent aux différents instruments jusqu’au retour du thème.
Cela veut dire que tous les accords utilisés comporteront un mi.
Bizet prépare également le retour du 1er thème à l’aide des premières notes du thème, cet espèce d’ “appel”, joué aux bois de très nombreuses fois. Le même appel que dans l’introduction initiale.
A’: A 6’38, retour du thème au hautbois, et de notre tonalité de la mineur.
Notez l’orchestration différente de la première exposition du thème. Cette fois, pizz rapides aux violons, pour donner plus d’animation, début du thème, “appel”, omniprésent aux bois.
A 7’30, autre pédale, mais cette fois de tonique, la. C’est “conclusif”, alors que la pédale de mi était préparatrice de quelque chose, ou “suspensive”. Ces deux pédales se répondent, en quelque sorte.
CODA: à 8’07, rappel de l’intro (du début du mouvement), puis bref rappel du thème et conclusion en la mineur.
Cette pièce est une réussite, un modèle d’équilibre et de variété, et encore une fois, Bizet n’avait que dix-sept ans.
En bonus cette semaine, la scène finale, tragique, de Carmen, où l’on peut aussi sentir l’influence de l’opéra italien.
Le magnifique air de ténor “Je crois entendre encore“, dans son autre grand opéra: les pêcheurs de perles:
Bonne semaine!