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Poursuivons notre voyage à travers l’époque romantique française, et intéressons-nous à Camille Saint-Saëns, né à Paris le 9 octobre 1835 et mort à Alger le 16 décembre 1921, pianiste, organiste et compositeur français. Sa musique n’est pas à proprement parler “post-romantique”, bien qu’il ait vécu assez tard dans le siècle, mais encore romantique dans l’esprit et le langage.

Saint-Saëns a écrit douze opéras, dont le plus connu est Samson et Dalila (1877), de nombreux oratorios, cinq symphonies, cinq concertos pour piano, trois pour violon et deux pour violoncelle, des compositions chorales, de la musique de chambre et des pièces pittoresques, dont Le Carnaval des animaux (1886).

Nous ne nous attarderons pas sur le langage musical de ce compositeur aujourd’hui, mais il prépare la voie à l’école française. Progressivement émerge un style harmonique français.
Pour simplifier énormément, les accords attendus “majeurs” sont parfois minorés, et l’inverse également. Cela donne une impression de modalité (modes anciens, vous vous souvenez) et un caractère un peu magique. Comme dans “l’aquarium”, en bonus à la fin de cet article. Nous reverrons cela plus en détail les semaines prochaines.

Saint-Saëns occupe une place particulière dans l’histoire du septième art, puisqu’il est, en 1908, le tout premier compositeur de renom à composer une musique spécialement pour un film, L’Assassinat du duc de Guise (Wikipédia).
Sa musique inspirera les compositeurs de musique de films ultérieurs, comme Danny Elfman, qui a composé pour Tim Burton, et chez qui l’influence de Saint-Saëns y est palpable (parfois à limite de l’indécence).
Grand maître de l’orchestration mais aussi innovateur dans le domaine harmonique et maitrisant le contrepoint comme tout compositeur-organiste qui se respecte.
Aujourd’hui, je vous propose, à travers lui, d’aborder le thème de la virtuosité, très en vogue au XIXe siècle.
La virtuosité est le fait d’accomplir des prouesses techniques à l’instrument. Ce concept n’est pas nouveau car, déjà, Corelli, Tartini, aux XVIIe et XVIIIe siècles, avaient ouvert le bal avec leurs pièces pour violon, comme par exemple la célèbre sonate “les trilles du diable” de Giuseppe Tartini (1692–1770) (écouter à partir de 3′ 25).

Au XIXe siècle, c’est la surenchère: Paganini, Liszt, Chopin et de très nombreux autres pousseront les instruments dans leurs retranchements techniques et feront de l’interprète un personnage important et admiré.
Aujourd’hui, la pièce de Saint-Saëns que je voudrais vous faire découvrir est son célèbre Introduction et Rondo Capriccioso. Ce qualificatif de “capriccioso” est une référence aux “24 caprices” de Paganini, paradigme de la virtuosité violonistique. l’Introduction et Rondo capriccioso en la mineur pour violon et orchestre est créé par le grand violoniste Sarasate le 4 avril 1867.

La pièce est assez longue donc pas question ici d’une analyse exhaustive, mais nous allons nous intéresser à la structure et aux modes de jeu du violon.
Voici la structure générale:
INTRODUCTION: jusqu’à 2’09
RONDO CAPRICCIOSO:
A: refrain, en la mineur
B: 1er couplet en do majeur (tonalité relative majeure): 4′ 54
A: retour du refrain et de la tonalité de la mineur: 6′ 22
C: 2e couplet en fa majeur, divisé entre une partie lente, très lyrique, et une partie au rythme de habanera, une danse d’origine espagnole.
A: refrain: à 8’50, mais dans une orchestration différente car le violon accompagne les bois qui jouent ce thème.
A 9’13, c’est ce qu’on appelle une “cadence”, typique du concerto, il s’agit d’un passage où le soliste joue tout seul. Autrefois improvisée par l’interprète, elle devient, au XIXe siècle, écrite par le compositeur.
A 9’30, CODA très virtuose, qui clôt l’œuvre à la manière d’un bouquet final.
Il s’agit donc d’une forme type “rondo”, ce qui n’est pas une surprise, pour une pièce qui s’appelle “rondo capriccioso”!
Quelques mots sur le violon, à présent:
Il apparaît autour de 1520 dans la région de Milan en Italie. Ses cordes sont à l’origine en boyau, mais à partir du début du XXe siècle, elles seront en métal, ce qui leur donnera une sonorité plus puissante et un accord plus facile.
Dans les années 1600, Andrea Guarneri (qui a construit le violon sur lequel joue Joshua Bell sur cette vidéo), et Antonio Stradivari construiront des violons dont la qualité sonore est encore reconnue aujourd’hui comme exceptionnelle.
Le violon a une sonorité puissante et aigüe, et “passe” naturellement “par-dessus” l’orchestre, ce qui le fait préférer pour l’écriture de concerti à son grand frère l’alto. Un seul violon solo peut être entendu même quand l’orchestre joue en tutti (entier). Pour cette raison, et de par sa vélocité, le violon solo a inspiré la plupart des compositeurs. Il peut monter à des hauteurs vertigineuses, ou, sur sa corde grave, se prendre pour une voix de ténor.
Reprenons la pièce et analysons quelques modes de jeu :
A 1’08, cette note toute plate, est un la harmonique naturel. Il est obtenu en effleurant la corde de la à la moitié, pour obtenir la fréquence double, c’est à dire l’octave au dessus de la corde de la “à vide”. Vous entendez en outre toutes ces petites glissades, ports de voix: elles sont le fruit des “doigtés” de l’interprète.
Chaque violoniste décide de “démancher” ici ou là, de faire une glissade, ou d’attaquer la note directement, de poser tel ou tel doigt, etc. C’est ce qui fait, entre autre, l’identité d’une interprétation. Il y a aussi la vitesse du vibrato, la vitesse de l’archet, et bien d’autres choses.
A 1’15, cela s’appelle un jeu “sautillé” ou “staccato”.
A 1’30, un bel exemple de jeu sur la corde grave (corde de sol), qui sonne comme une voix de ténor, très lyrique quand on monte dans l’aigüe de cette corde.
A l’inverse, à 1’44, le jeu sur la “chanterelle” ou corde de mi, la plus aigüe dépasse les capacités de la voix humaine, et possède un caractère cristallin et désincarné.
A 3’33, “jeté” ou “stacatto volant”, plusieurs notes très rapides en faisant rebondir l’archet.
A 10’09, écoutez attentivement. La même note, un mi avec trille, est jouée successivement sur la corde de ré, puis sur la plus grave, la corde de sol. La sonorité est différente, et l’interprète joue de cette richesse acoustique.
Depuis le début, ce thème est comme un duo entre un homme (corde grave) et une femme (corde aigüe), vous ne trouvez pas? Comme le thème 2, d’ailleurs, à partir de 4’57. A 10’08, les deux voix se rejoignent même. On appelle cela un jeu “en doubles cordes”, toujours assez, ou très technique, ici, un jeu en sixtes, et en tierces. Comme un duo d’opéra italien.
A 8’47, un jeu en arpèges (c’est à dire qu’on égrène les notes d’un accord les unes après les autres), sur les 4 cordes du violon. Le violon devient un instrument d’accompagnement, et les bois jouent le thème.
A 9’14, un autre exemple de jeu en accords, tout en “tirant”, c’est a dire en jouant du talon de l’archet vers la pointe. En écrasant l archet sur les cordes, on peut jouer 3 cordes en même temps, alors que normalement, c’est impossible.
Voilà, vous en savez un peu plus sur le violon et cette écriture virtuose.
Les grands virtuoses du violon moderne sont, et je vais en oublier : Heifetz (vibrato très serré, très virtuose, nombreux glissandi, “à l’ancienne”), Milstein (jeu virtuose, grande clarté), Menuhin (enfant prodige, grande sensibilité), Oïstrack (un des plus grands violonistes de tous les temps, technique en béton, sens artistique aigü), Anne Sophie Mutter (grand sens artistique, grande interprète de Beethoven), Perlman, Stern, Vengerov (génie de la musique, grand virtuose et pédagogue) et bien d’autres…
Un premier bonus, pour faire lien avec la semaine dernière. Voici le très talentueux Maxim Vengerov dans la “Carmen fantaisy” de Waxman, écrite d’après l’opéra de Bizet:

…et bien sûr, deux extraits du Carnaval des Animaux de Saint Saëns, descriptifs, et évoquant le ballet Casse-noisette de Tchaïkovski:


Écoutez la Symphonie pour orgue, la Danse Macabre, et toute la musique de Saint-Saëns !
Bonne semaine !

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