par Jacques Sapir
La presse, essentiellement celle qui soutient le gouvernement, se remplit d’optimisme et de commentaires flatteurs pour notre Président à la vue des derniers chiffres de l’INSEE qui ont été publiés le 14 août. Ainsi, au second semestre 2013 la France aurait connu une croissance de 0,5%, Alléluia ! La croissance revient donc et semble donner raison au Président comme au gouvernement. Pourtant, les commentateurs feraient mieux d’être plus prudents et de lire plus attentivement le document de l’INSEE, qui est loin d’être aussi affirmatif qu’ils ne le disent .
En réalité, le chiffre de 0,5% obtenu au second trimestre 2013 est dû à deux facteurs : une hausse de la consommation de 0,3% et un accroissement des stocks de 0,2%. Or, les stocks des entreprises avaient baissé de -0,8% en 2012. Une correction était attendue et se situe dans la normale des choses. On mesure par ailleurs qu’elle reste inférieure à la baisse précédente. Une comparaison des deux premiers trimestres de 2013 avec 2011 et 2012 montre que cet accroissement ne sera pas durable.
On peut lire sur ce graphique, et c’est pourquoi on le publie, la permanence des facteurs qui font stagner le PNB de la France, et en particulier l’évolution de l’investissement et du solde commercial. On voit parfaitement que l’ensemble des facteurs susceptibles de contribuer à la croissance de l’économie française sont en panne depuis la fin de 2011.
La « panne » que connaît l’économie ne date donc pas du changement de gouvernement. Mais, le nouveau gouvernement, et le nouveau président n’ont en rien modifié la tendance antérieure.
Leur action, parce qu’elle s’inscrit dans une continuité profonde avec celle de l’équipe Sarkozy-Fillon et ne s’attaque pas au problème de fond que connaît notre pays, problème qui porte le nom d’Euro, et ce en dépit de divergences de détail, s’avère incapable d’inverser le sort de l’économie française.
Il faut maintenant revenir sur le second point expliquant la hausse du PIB au second trimestre : la hausse de la consommation des ménages. Cette hausse est réelle, mais elle semble s’expliquer essentiellement par des facteurs conjoncturels.
- Les dépenses d’énergie ont été anormalement élevées au printemps 2013, résultat du mauvais temps que nous avons subi. Il a fallu chauffer plus longtemps les maisons et les édifices publics.
- Les dépenses de consommation courante (habillement et nourriture) continuent de baisser (-2,2% pour l’habillement et -1,2% pour la nourriture). Ceci est inquiétant, et montre que le niveau de vie des Français se détériore, ou à tout le moins que le pouvoir d’achat médian (et non moyen) continue de reculer. L’indicateur de pouvoir d’achat par unité de consommation montre d’ailleurs une baisse de -0,2% sur le premier semestre de cette année.
- Seules, les dépenses liées à l’automobile augmentent, mais sont loin (avec 2,2%) de compenser la baisse précédente (-5,5%). En fait, la hausse du second trimestre semble être une correction partielle de cette baisse mais n’indiquent nullement que le marché de l’automobile se reprenne.
En fait, la consommation en biens durables des ménages français est en panne depuis maintenant plusieurs années. La crise de 2008 a bel et bien cassé la tendance que l’on constatait depuis 2001. La hausse actuelle de la consommation est donc appelée à ne pas durer. De plus, il faut signaler que c’est à la fin du troisième trimestre (en septembre) que se feront sentir les hausses d’impôts. C’est à cette date que les ménages prendront la mesure du tour de vis fiscal auquel ils sont soumis. Ces hausses devraient provoquer une contraction de la consommation non négligeable.
Le plus inquiétant cependant n’est cependant pas là. Il réside dans la poursuite de la baisse de l’investissement (FBCF ou Formation Brute de Capital Fixe). Au second trimestre, la chute de la FBCF est de -0,5%, est celle de la FBCF des ménages (qui par convention n’investissent que dans le logement) de -1,7%. Sur une année, la chute de la FBCF des entreprises non financières est importante avec -2,1%. Seul l’investissement des administrations publiques se maintient, mais il est actuellement à un niveau relativement bas.
Cela signifie que l’appareil productif français continue de se dégrader, et en particulier par rapport à l’Allemagne qui est certes notre principal partenaire mais aussi, du fait de l’Euro, notre pire concurrent. La baisse de la FBCF implique à terme de moindres gains de productivité et donc une hausse relative, par rapport aux autres pays, du coût salarial unitaire réel qui est l’un des indicateurs les plus sûrs de la compétitivité relative de l’industrie française.
Ceci invalide aussi l’idée, souvent avancée dans les milieux proches de François Hollande, que la France serait dans un « cycle » dont elle aurait connu la phase basse durant cet hiver et qui devrait mécaniquement déboucher sur une phase de croissance pour la fin de cette année. Le « cycle des affaires », pour reprendre une expression qui eut son heure de gloire vers 1920, n’est que le produit d’une économie largement déréglementée. Il n’y eut nul « cycle » dans les années 1950 et 1960. D’ailleurs, à la fin des années 1960 de grands économistes avaient collaboré à un livre s’interrogeant sur l’obsolescence même du fameux « cycle des affaires ». Ce « cycle » implique pour être établi que l’on démontre les mécanismes des oscillations régulières. Or, tous les indicateurs économiques structurels indiquent au contraire un affaiblissement de l’appareil économique français.
Rien, dans le tableau dressé par l’INSEE, n’incite donc à l’optimisme. Seule une forte croissance mondiale, en supposant que la France puisse en profiter ce qui est douteux compte tenu du taux de change de l’Euro (actuellement de 1,32 USD pour 1 euro), pourrait tirer la croissance. Mais, la crise dans les pays émergents (Chine et Inde) et la faiblesse de la croissance aux Etats-Unis ne permet pas de compter sur un tel scénario.
La croissance mondiale restera faible en 2013 et en 2014. La zone Euro, elle-même restera ce que l’économiste Jorg Biböw a appelé « un frein global » à la croissance mondiale.
L’économie française est donc condamnée à la stagnation à court terme et, du fait de la perte de compétitivité de son appareil productif, à la dégradation à moyen terme. Ceci est la conséquence directe de l’Euro, comme on a eu à maintes reprises l’occasion de le dire et de le prouver sur ce carnet. La seule solution qui permettrait d’emprunter un chemin radicalement différent et de redonner espoir tant aux entreprises qu’aux travailleurs français (qui constatent, eux, que le chômage continue d’augmenter) serait de sortir de l’Euro pour pouvoir dévaluer, non seulement par rapport au Dollar (et à la zone Dollar) mais aussi et surtout par rapport à l’Allemagne.
Mais de cela, il n’en est pas question pour l’instant. Il faudra que la crise s’aggrave, que le chômage continue de monter, pour que la question d’une dissolution de la zone Euro soit, enfin, mise à l’ordre du jour.