En ouverture du sommet du G20 à Saint-Pétersbourg, Chine, Russie, Brésil, Inde et Afrique du Sud confirment leur volonté de mettre sur pied un fonds de réserve de change pour lutter contre les désordres monétaires actuels. En évoquant aussi la responsabilité des Occidentaux.
C’était fin mars à Durban en Afrique du Sud, l’une des principales annonces du sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), lue d’un ton docte par le président sud-africain Jacob Zuma lui-même. La création d’un fond de réserve monétaire propre au BRICS vient de se concrétiser un peu plus à Saint-Pétersbourg. Dénommé “Contingent Reserve Arrangement” ou “currency pool” ce fonds devrait s’élever à 100 milliards de dollars.
Le projet a été dévoilé suite au mini-sommet à cinq qui s’est tenu vers midi ce 5 septembre en prélude au sommet du G20 qui se déroule à Saint-Pétersbourg ce jeudi et demain 6 septembre. Une manière claire de peser d’entrée de jeu face aux pays développés dans ce sommet en principe économique mais reste dominé par le crise syrienne et l’opposition attendue en Vladimir Poutine et Barack Obama.
Cette rencontre des BRICS a réuni les chefs d’Etat et de gouvernement Dilma Rousseff (Brésil), Manmohan Singh (Inde), Vladimir Poutine (Russie), Xi Jinping (Chine) et Jacob Zuma (Afrique du sud).
La Chine, principal pays contributeur
“Le montant du dispositif de réserve sera de 100 milliards de dollars et la Chine assumera la part du lion”, a indiqué le vice-ministre chinois des Finances Zhu Guangyao, cité par Reuters lors d’un point de presse.
La participation respective dans le fonds de réserve monétaire serait de 41 milliards de dollars pour la Chine, de 18 milliards de dollars chacun pour le Brésil, l’Indeet la Russie et 5 milliards de dollars pour l’Afrique du sud.
Si ce projet avait été annoncé au printemps à Durban dans un contexte où le dynamisme économique des BRICS semblait encore avéré, depuis la situation macro-économique s’est compliquée pour les Cinq comme pour bien des pays émergents, singulièrement en matière de la stabilité des changes.
Tourments monétaires pours les BRICS
A cela une explication notamment : la perspective de voir la Réserve fédérale américaine réduire sa politique d’injection massive de liquidités dans l’économie des Etats-Unis (“Quantitative easing” via le rachat actuel de 85 milliards de dollars par mois d’obligations d’Etat). Cela a provoqué des anticipations de hausse des taux longs américains sur les marchés financiers. Et par contrecoup un important retour de capitaux vers les Etats-Unis et de fortes tensions sur le marché des changes des pays émergents.
Résultat ? Des tourments monétaires depuis deux mois pour des pays comme l’Inde dont la monnaie, la roupie, a plongé de 18% comparé au dollar depuis le mois de mai, atteignant un niveau de faiblesse inégalé depuis des décennies.
Alors que le temps où les capitaux américains affluaient presque sans limite vers les pays émergents et les BRICS s’achève, le spectre de déséquilibres monétaires graves, voire d’une guerre des monnaies, plane donc sur l’économie mondiale et le G20.
Le risque pour les émergents ? Une inflation qui s’envole sous l’effet à court terme de l’augmentation du prix des importations (énergie notamment) puis de hausses des taux directeurs, ce qui pourrait asphyxier leur croissance. Si cette situation a des forts relents de crise asiatique de 1997, la situation macro-économique des pays émergents est néanmoins aujourd’hui beaucoup plus saine qu’alors, selon les experts.
Perspectives de croissance moins soutenues
Mais à cela s’ajoute un autre sujet d’inquiétude au sujet des BRICS, des perspectives de croissance moins soutenues se confirmant peu à peu. Le FMI, estime que la reprise américaine est sur les rails et que même l’Europe semble aller mieux. Jusqu’à l’été, le fonds considérait que les pays émergents seraient au contraire le moteur essentiel de la croissance mondiale en 2013 et 2014. Une sorte de renversement.
Quant à l’OCDE, elle fait à peu près le même diagnostic et pointe même du doigt les économies émergentes qui n’ont pas su mener, selon elle, les réformes de structure alors que les capitaux affluaient.
Dans ce contexte, les pays les plus fragiles sont ceux affichant un déficit structurel de leur balance courante (balance des biens, services et revenus) comme le Brésil, l’Afrique du Sud et l’Inde mais aussi la Thaïlande, l’Indonésie ou plus près de nous, la Turquie ou le Maroc. Ces pays dépendent, en effet, des capitaux extérieurs pour se financer. L’Inde, par exemple, affiche ainsi un déficit courant de 4,8% de son PIB tout en étant confronté à une situation budgétaire très dégradée (plus de 9% de déficit public ramené au PIB)
Le Brésil dont la monnaie, le real, a été attaqué ces derniers mois, a déjà mis sur pied un programme de stabilisation des changes de plus de 50 milliards de dollars.
Alors que ce rôle est traditionnellement dévolu au FMI, c’est tout l’intérêt théorique d’un fond de réserve monétaire commun aux BRICS.
Car au sein de ce groupe des Cinq, la Chine et la Russie ne connaissent pas cette situation difficile, du fait de leurs excédents commerciaux.
La Chine dispose ainsi de plus de 3 000 milliards de dollars de réserves de change alors que l’Inde, dont la population est équivalente mais le PIB deux fois plus petit, n’affiche qu’un peu plus de 200 milliards de dollars de réserve.
Peu de détails sur le futur “fonds monétaire”
Mais aucun détail n’a été donné à Saint-Petersbourg sur la manière dont ce futur “fonds monétaire” des BRICS serait concrètement utilisé, ni même mis sur pied. Et le fait pour la Chine, de financer par ses excédents, même indirectement, les déficits de son rival asiatique l’Inde ne sera sans doute pas chose facile (on a vu les débats suscités en pareille situation au sein de la zone euro pourtant politiquement intégrée!)
La création du fonds de réserve des BRICS s’inscrit, en tout cas, clairement en marge des institutions existantes de Bretton Woods, et notamment du FMI, où ces grands émergents réclament depuis des années de pouvoir peser d’avantage dans les décisions via l’augmentation de leurs quotas et droits de vote. Sans véritable résultat. A Saint-Petersbourg, les BRICS ont à nouveau manifesté leur impatience à ce sujet.
Ils ont d’ailleurs confirmé à l’issue de leur mini-sommet un projet acté à Durban, celui de la création d’une banque de développement commune aux BRICS peut-être même ouverte à d’autres pays émergents. Cette “New development bank”, concurrente en quelque sorte de la Banque mondiale, doit être dotée, comme c’était prévu à Durban, d’un capital de 50 milliards de dollars. Là encore le diable sera dans les détails, rien n’a vraiment été précisé et ce projet rencontreriat même des difficulté rapporte Reuters.
Mais pour les BRICS, qui se réuniront formellement cette fois au Brésil en 2014 pour leur 6ème sommet depuis 2009, l’essentiel était sans doute de montrer une certaine communauté de vue et fermeté.
Reste à voir si ces annonces des BRICS et leur unité apparente, pèseront réellement sur les débats et conclusions du G20. Pour cela il faudrait que les effets déstabilisants des politique monétaires expansionnistes des Etats-Unis mais aussi du Royaume Uni, du Japon voire de la zone euro soient clairement pointés du doigt dans le communiqué final. Peut-on y compter ?
Les cinq ont préféré prendre les devants. Dans leur propre communiqué de jeudi après-midi, cité par l’AFP : les BRICS ont manifesté ” leurs inquiétudes (…) concernant les répercussions négatives involontaires des politiques monétaires non-conventionnelles de certains pays développés”.
Réponse donc à l’issue d’un sommet marqué par les vives tensions autour du drame en Syrie, mais pas seulement.