Domenico Quirico, journaliste à La Stampa détenu en Syrie pendant cinq mois avec le Belge Pierre Piccinin, a regagné l’Italie lundi. Il a livré à son journal le récit de sa captivité.
Nous sommes entrés en Syrie le 6 avril avec l’accord de l’Armée syrienne libre (ASL) et sous sa protection, comme les fois précédentes. (…)
L’ENLÈVEMENT
Nous avons demandé à être accompagnés par des hommes de l’ASL [Armée syrienne libre] et c’est en compagnie de deux d’entre eux, avec qui nous venions de dîner, que nous sommes partis.
Nous les pensions fiables. Mais il est probable que ce soit eux qui nous aient trahis et vendus. Dès la sortie de la ville, notre voiture a été stoppée par deux pick-up remplis d’hommes masqués. Ils nous ont fait monter dans leurs véhicules, puis nous ont conduits dans une maison où ils nous ont battus.
Ils se présentaient comme des policiers du régime. Les jours suivants, cependant, nous avons découvert que c’était faux, car nos ravisseurs étaient de fervents musulmans qui priaient cinq fois par jour de façon savante et mélodieuse. Le vendredi, ils ont écouté le sermon d’un prédicateur qui soutenait le djihad contre Assad. Mais ce n’est que lorsque nous avons été bombardés par l’aviation que tout reste de doute s’est évanoui :
ceux qui nous avaient pris en otage étaient des rebelles.
A son arrivée à Rome, le reporter de la “Stampa” a confié avoir été “maltraité” par ses ravisseurs.
Le créateur et chef du groupe de nos ravisseurs était un soi-disant émir qui se fait appeler Abou Omar, vraisemblablement un surnom. Il a formé sa brigade en recrutant des gens du coin, plus bandits qu’islamistes ou révolutionnaires. Cet Abou Omar couvre ses trafics et activités illicites d’un vernis d’islamisme et collabore avec le groupe qui nous a récupérés ensuite, Al-Farouq.
Cette faction très connue de la révolution syrienne fait partie du Conseil national syrien et ses représentants rencontrent les gouvernements européens.[…]
Les combattants du Jabhat Al-Nosra mènent une vie très simple. Ce sont des guerriers radicaux, des islamistes fanatiques qui ont pour ambition de faire de la Syrie un Etat islamique et de transformer tout le Moyen-Orient, mais en face de leurs ennemis – parce que nous, chrétiens, occidentaux, nous sommes leurs ennemis –, ils ont le sens de l’honneur et du respect. Al-Nosra a beau être inscrite sur la liste des organisations terroristes dressée par les Américains, c’est le seul groupe qui nous ait respectés. Mais nous sommes revenus aux mains d’Abou Omar.
(…) Personne n’a manifesté envers moi ce que nous appelons communément pitié, miséricorde, compassion. Même les enfants et les vieux ont essayé de nous faire du mal. Je le dis peut-être en termes un peu trop éthiques mais en Syrie, j’ai vraiment rencontré le pays du Mal.
LA CAPTIVITÉ
Nous étions traités comme des animaux, enfermés dans de petites pièces aux fenêtres closes malgré la chaleur étouffante, jetés sur des paillasses, nourris de leurs restes.
De toute ma vie, jamais je n’avais ressenti cette humiliation quotidienne qui consiste à être empêché d’accomplir les choses les plus simples comme aller aux toilettes, à devoir demander et s’entendre toujours répondre non. Je crois qu’ils éprouvaient un vrai plaisir à voir l’occidental riche réduit à l’état de mendiant.(…)
Les geôliers :
Ils appartenaient à un groupe qui se prétend islamiste mais qui, en réalité, est composé de jeunes déséquilibrés qui sont entrés dans la révolution parce que, désormais, la révolution, c’est ces groupes à mi-chemin entre banditisme et fanatisme.
Ils suivent celui qui leur promet un avenir, qui leur donne des armes, de la force, de l’argent pour acheter leurs téléphones, leurs ordinateurs, leurs vêtements. La marque Adidas est très répandue en Syrie, tout le monde porte des T-shirts Adidas, des chaussures Adidas, on dirait presque qu’ils sont sponsorisés.(…)
Notre histoire, c’est celle de deux chrétiens dans le monde de Mahomet et de la comparaison entre deux fois différentes : la mienne, simple, faite de don de soi et d’amour, et la leur, qui est faite de rituels.[…]
Le Monde