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Cet homme est une énigme. S’il était animal, il serait caméléon, comme Zelig, le héros de Woody Allen. Marek Halter raconte avec talent comment il prend le thé à la table des grands de ce monde, de Golda Meir à Jean-Paul II, de Nasser à Eltsine, de Sharon à Poutine. Une amie le décrit en Candide de Saint-Germain-des-Prés, un « optimiste qui ne se décourage jamais. Il est capable de se lever le matin en se disant qu’il passera dans la journée un coup de fil à des puissants pour demander la paix sur la planète ».
Halter a des histoires à revendre. Le pape décède, il raconte une audience et un déjeuner à la bonne franquette avec le souverain pontife. Arafat trépasse, Marek Halter narre son « amitié » avec le Vieux.

L’UMP intronise Sarkozy président, l’intellectuel apparaît dans le film de promotion.

A la cérémonie du 60e anniversaire de la libération d’Auschwitz, l’écrivain surgit au côté de Jacques Chirac. En mars, le même serre la main du Premier ministre israélien, Ariel Sharon, puis celle du Palestinien Ahmed Qoreï.
L’auteur du best-seller « La mémoire d’Abraham », et plus récemment d’une série sur les femmes de la Bible, « Sarah », « Tsippora » et « Lilah », chez Robert Laffont, ne dédaigne pas de se mettre en scène. Pour parler de l’Histoire et de l’actualité, le publiciste à succès confie ses souvenirs. En fait, il se cache derrière sa notoriété. Etre volubile est parfois, comme on sait, le meilleur moyen de se taire.
Une figure de la scène médiatique aura rarement été un tel tas de secrets. Le curriculum vitae de Marek Halter est ardu à déchiffrer comme la kabbale, tant il semble avoir eu de vies. Avec sa barbe, sa chevelure de Samson et sa plastique antique, ce Depardieu du récit biblique a une tête à jouer Moïse dans un péplum. Selon une de ses amies, « il a le visage de Jupiter dans le “Jupiter et Thétis” d’Ingres ». A Mea Shearim, on pourrait le prendre pour Rabbi Jacob. A Moscou, il évoque Karl Marx. Comme Atlas, il prend sur lui tous les malheurs du monde.
Le mystère Marek Halter remonte à sa naissance. Il a vu le jour à Varsovie avant la guerre. Sa mère, Perl, était poétesse yiddish, son père, Salomon, imprimeur. Pour le reste, l’état civil de l’écrivain est intrigant. D’abord, Marek ne s’appelle pas Marek, mais Aron, comme le prouve son extrait d’acte de naissance. ll avance une explication : « Il y avait une erreur sur le visa collectif de ma famille, à notre arrivée en France juste après la guerre. » Sur sa carte d’identité, il est écrit : « prénom usuel : Marek ». Celui qui est passé à la célébrité en « Marek » ne souffre pas son autre prénom : « Aron était un faux cul, qui a fait construire le veau d’or, je n’aime pas ça. »
Date de naissance ? L’écrivain indique partout le 27 janvier 1936, sur sa fiche « Who’s who » et les documents officiels par exemple. L’année est fausse. La date officielle de l’état civil français, qui figure sur sa carte d’identité ou son passeport, est le 27 janvier 1932. « C’est une autre erreur de l’état civil, indique l’écrivain, et je n’ai jamais cherché à la rectifier. » Mais il lui arrive de s’emmêler les pinceaux.

A la page 23 du « Judaïsme raconté à mes filleuls » (Pocket, 2001), Marek Halter écrit « j’avais 9 ans » dans une scène qui se situe logiquement en 1941. Soit une naissance en 1932…

Coquetterie d’un homme soucieux de cacher son âge ? Le détail n’est pas sans importance. Car il permet de préciser les premières années de sa vie, notamment ce qui en serait l’événement fondateur : la fuite du ghetto de Varsovie par les égouts. Depuis qu’il est allé frapper à la porte de Sartre, auquel il lança: « Je suis un survivant du ghetto », Halter parle de l’expérience vécue à son plus jeune âge. En 1995, le pape lui demande : « Alors, vous êtes né à Varsovie ? » L’écrivain répond : « Non, Saint-Père, je suis né dans le ghetto de Varsovie. » Or les quartiers juifs de Varsovie ne furent ceints par un mur qu’en novembre 1940. Avant, il n’y avait pas de ghetto.

Dans les cercles yiddish de Paris, les contradictions de Marek Halter font jaser depuis longtemps. En mars 1980, Michel Borwicz, un historien du ghetto, publie un libelle dans le quotidien Unzer Wort . Dans son article, portant le titre « Assez mentir », Borwicz assure que Halter, qui eut le prix Aujourd’hui en 1976 pour « Le fou et les rois », n’a jamais vécu dans le ghetto. Après « La mémoire d’Abraham », en 1983, Borwicz écrira une brochure de 14 pages, relevant des incohérences graves, et qui circulera sous le manteau : « Le cas de Marek Halter, jusqu’où est-il tolérable d’aller trop loin ? »
 

Des fleurs pour Staline.
Professeur des universités, Rachel Hertel est la fille de très proches amis de ses parents.

Elle confie : « Jamais les parents de Marek n’ont raconté avoir vécu au ghetto ; ils disaient être partis juste après l’éclatement de la guerre, en 1939. »
Comme des dizaines de milliers de juifs de Pologne, qui ont fui en Union soviétique. Après, le piège s’est refermé. Halter se défend : « J’ignore pourquoi Borwicz m’en voulait ainsi, et d’ailleurs je n’ai jamais dit être resté longtemps dans le ghetto. »

Interrogé sur cet épisode, le baron Paul Halter, cousin de Marek et président de la Fondation Auschwitz à Bruxelles, assure ne pas savoir la vérité :

« Evidemment, Marek s’arrange avec la réalité ; ses livres ne sont pas des autobiographies, quand même ! » Sa cousine, Michèle, qui n’a plus de liens avec lui, ajoute : « Sa vraie vie, je ne la connais pas. »

La vie de Marek Halter est un roman. A lire sa biographie officielle, en 1945, il est délégué des pionniers d’Ouzbékistan à la fête de la Victoire à Moscou. Directeur de l’Institut juif de Varsovie, Felix Tych n’y croit pas : « Il est très étrange qu’un jeune juif originaire de Pologne ait été délégué des pionniers d’une république d’Union soviétique, a fortiori à cette époque. » Ce jour-là, Marek Halter jure avoir remis un bouquet de fleurs au « petit père des peuples » : « Staline prit mes fleurs, me passa la main dans les cheveux et dit quelque chose que, troublé, je n’entendis pas. » La première rencontre avec un grand de ce monde. Rachel Hertel assure que jamais Marek n’en avait parlé avant la mort de ses parents.
De retour d’Union soviétique, la famille Halter s’installe à Lodz, en Pologne, puis rejoint Paris. La biographie officielle de Marek Halter situe l’arrivée en France en 1950. Détail sans importance : les archives du ministère de l’Intérieur ont conservé la trace d’une entrée sur le territoire le 2 décembre 1948. Le futur écrivain engage avec succès une carrière d’artiste peintre. Reçu aux Beaux-Arts, lauréat du prix international de Deauville, il s’envole pour travailler à Buenos Aires. Selon la biographie officielle, « il se lie avec le président argentin Peron ». Il faut croire que Peron a un sens étrange de l’amitié. Car Marek Halter, qui fréquente des révolutionnaires, est contraint à quitter l’Argentine deux ans plus tard. En juin 1984, l’écrivain narre l’épisode dans Le Point : « Peron courtoisement me fait expulser. »
De retour en France, Marek Halter se targue d’intervenir « auprès des hommes d’Etat pour le respect des droits de l’homme ». Alors que se profile en 1967 la guerre des Six-Jours, il s’engage en faveur d’Israël et pour la paix. L’écrivain relate souvent une anecdote : le 6 juin 1967, « j’ai été reçu à l’Elysée par le général de Gaulle ». Maurice Clavel l’aurait présenté en précisant : « Mon général, vous ne connaissez pas cet homme qui a tout vu, tout vécu. » En fait, Le Monde du 7 juin 1967 évoque une « délégation », sans faire mention d’Halter. Lui-même écrira d’ailleurs dans « Le fou et les rois » (Albin Michel, 1976) : « En vérité, seul Clavel fut reçu. »
Un documentaliste, un « nègre ».
Telle une éponge, Marek Halter absorbe l’Histoire et l’actualité. Sa vie s’inspire de ses livres autant que l’inverse. En 1977, il se lance dans une grande aventure, la préparation de « La mémoire d’Abraham ». « Roman », est-il écrit sous le titre. Mais des passages en italique laissent penser que l’histoire est celle de la famille de l’auteur, une lignée de scribes depuis deux mille ans, passant par un proche de Gutenberg. Marek Halter fait appel à une équipe de documentalistes. Aujourd’hui journaliste à Marianne, l’historien Patrick Girard se souvient y avoir consacré trois ou quatre ans. Il s’en amuse : « L’arbre chronologique était complètement faux. La généalogie juive ne remonte pas au-delà du XVIe ou du XVIIe siècle. » La petite équipe cherche des références culturelles pour mettre en place une intrigue. La rédaction finale du livre est confiée à un « nègre » réputé, Jean-Noël Gurgand, qui travaille le manuscrit pendant deux mois. Non sans laisser de traces. Peu après la page 200, deux personnages, Lia et Avelina, portent les prénoms de la fille du « nègre » et de la meilleure amie de celle-ci…
Marek Halter ne nie pas se faire aider pour ses livres, en précisant : « Flaubert avait bien Maxime Du Camp pour lui dire “ça ne va pas” ! » L’écrivain précise que le journaliste du Monde Pierre Viansson-Ponté avait « relu » « Le fou et les rois », c’est-à-dire y avait mis la dernière main. Viansson-Ponté s’était d’ailleurs chargé lui-même de rédiger la critique dans son quotidien, en ces termes : « Quel destin surprenant, quel homme étonnant et quel beau livre ! » Un autre ami de Marek Halter, Michel-Antoine Burnier, qui oeuvra sur plusieurs de ses livres, assure s’en être tenu à « une relecture de rédacteur en chef ».
Intuitif, Marek Halter sent l’époque. Il sait utiliser son carnet d’adresses pour promouvoir ses valeurs. Avec sa verve, il ne manque jamais de passer un coup de fil aux journalistes comme aux hommes politiques, pour attirer l’attention sur ses actions. En 1979, Halter participe à la création d’Action contre la faim (ACF). En 1986, il est parmi les premiers à soutenir SOS Racisme. Aujourd’hui, il se rapproche de Ni putes ni soumises.
Inlassablement, l’écrivain construit son personnage. L’éditeur Robert Laffont explique les raisons de son succès : « Il était à la fois un garçon sympathique, courageux, et capable de parler de l’horreur des camps. » Selon un ancien proche, « son fonds de commerce est l’oecuménisme entre le judaïsme et les autres religions révélées ». La figure des Justes, qu’il promeut, n’est pas trop culpabilisante pour la France.
Des missions de plus en plus officielles vont lui être confiées. En 1991, il prend la présidence du Collège universitaire français de Moscou. « Dès les premiers jours de la perestroïka, avec Andreï Sakharov, j’ai installé le collège au sein de l’université Lomonossov », se targue Halter, en jouant avec la chronologie. La perestroïka débute en 1986, Sakharov décède en 1989 et le collège ne voit le jour qu’en 1991. Marek Halter certifie avoir lancé l’idée de créer un collège français dans le bureau de Gorbatchev, où son « ami » Sakharov l’aurait emmené.
Contactée par Le Point, la veuve de Sakharov, Elena Bonner, qui réside à Boston, met un bémol à ces évocations. Elle se souvient que l’intellectuel français présidait une association déclarée à la préfecture de police de Paris, l’Institut international Sakharov. Mais d’intimité avec l’opposant il n’y eut guère. Elena Bonner a été accueillie chez Marek Halter un soir de mai 1986, en l’absence de son mari. Si sa mémoire est bonne, l’écrivain français et le scientifique russe ne se sont vus qu’une fois. La rencontre eut lieu à Moscou après le retour d’exil de Sakharov, en décembre 1986. La veuve ajoute que son mari n’est jamais entré dans le bureau de Gorbatchev.
A Moscou, Halter montre l’étendue de son carnet d’adresses. Des personnalités de l’université française, de la politique ou du show-biz, de François Furet à Jacques Chirac, sans oublier Gérard Depardieu, passent par le collège. Le président Eltsine et le Premier ministre Primakov le reçoivent. Halter raconte qu’il rencontre Poutine, encore inconnu, lors du dîner d’inauguration du collège universitaire de Saint-Pétersbourg. Le futur homme fort de la Russie lui aurait glissé ce soir-là : « J’ai vu “Les Incorruptibles” à la télé, je veux être l’Eliot Ness russe. »
« Je suis un ami de Marek Halter ! »
En 1997, il fonde Les Nouvelles françaises, un magazine censé rapprocher France et Russie. Dans l’un des numéros, une page est consacrée au directeur de la communication d’Eltsine, Sergueï Yastrzhembsky. Proche de Marek, cet ancien du KGB est grand amateur de chasse en Ouzbékistan, là même où Halter dit avoir commencé sa carrière de conteur en racontant des histoires à des petits voyous. Halter semble avoir gardé des attaches en Ouzbékistan.
En 1999, l’écrivain intervient auprès du ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, pour lui demander s’il peut lever une interdiction de séjour d’un Ouzbek, qui se trouve être un membre important de la criminalité organisée. Les services spécialisés sont d’autant plus surpris qu’un autre mafieux ouzbek, refoulé à la frontière française, lance : « Je suis un ami de Marek Halter ! » Explication de l’écrivain : « Les Nouvelles françaises avaient besoin de publicité. Un Ouzbek m’a proposé de financer un supplément sur l’Ouzbékistan. Le jour où il m’a demandé de l’aider, je l’ai fait en prenant toutes les précautions. »
En 2002, Jacques Chirac et Lionel Jospin s’accordent pour nommer Marek Halter « commissaire général de la participation française aux cérémonies du tricentenaire de Saint-Pétersbourg ». Le projet principal en est une « Tour pour la paix », érigée au milieu d’une place historique, financée par des entreprises mécènes. Les chefs d’entreprise sont ensuite sensibilisés à la cause par Jean-Pierre Raffarin, lors d’un déjeuner à Matignon où il intronise Halter. Une polémique s’ensuit, car la conceptrice de la « Tour » n’est autre que Clara Halter, l’épouse du commissaire général, par ailleurs artiste reconnue. L’écrivain arguë que les autorités politiques de la ville étaient demandeuses de ce projet.

Marek Halter aime à donner l’image de l’influence. A la mort du pape, il certifie lui avoir soufflé l’idée de se recueillir au mur des Lamentations lors de son voyage à Jérusalem, alors que l’audience eut lieu en 1995 et le périple de Jean-Paul II en 2000. Lorsque Yasser Arafat disparaît, il raconte lui avoir lui-même présenté sa future épouse, Soha, en Tunisie, alors que l’épisode eut lieu à l’hôtel Crillon à Paris, hors de la présence de Halter.

Comme Kafka, l’intellectuel considère que « Dieu est une énorme oreille qui nous écoute ». En conséquence, on « ne peut pas dire n’importe quoi ». Mais Halter ajoute ne jamais avoir été à l’école, et n’avoir pas appris la religion des faits à l’université. Le « passeur », comme il se définit, ne se souvient que des « sensations ». Patrick Girard, son ancien collaborateur, sourit : « Il n’est pas dans l’escroquerie. Il s’est mis dans un piège et n’arrive pas à s’en dépatouiller. S’il refaisait l’histoire de sa vie, il vérifierait les dates. » Quand on pose des questions gênantes à Marek Halter, il répond avec douceur, en posant sa main sur l’avant-bras de son interlocuteur
 
Le Point

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