Les Occidentaux étaient persuadés que sur le front syrien, on ne pouvait rien attendre de la Russie. Et voilà que Poutine lance une initiative diplomatique qui fait bouger les lignes. Comment expliquer ce tête à queue ?
Par Jack Dion.
Manque de chance, il n’a pas dit « Niet » mais « Da » à la suggestion de John Kerry sur les armes chimiques de la Syrie. Patatras. C’est le monde à l’envers. Du coup, l’analyse de L’Express tombe complètement à plat (ce n’est pas exceptionnel) tout comme les clichés véhiculés dans les médias occidentaux pour qui Poutine est à la fois un Diable, un Soviétique en peau d’ours et un imbécile.
Certes, on ne peut comprendre la Russie sans son passé soviétique ou même tsariste. Et pourtant, rien ne ressemble moins à l’URSS que la Russie d’aujourd’hui, convertie aux dogmes de l’hyper capitalisme fou. De même, si Poutine n’a rien d’un petit Saint orthodoxe, s’il perpétue des traditions antidémocratiques tenaces, il est absurde de le réduire à une marionnette de l’ex KGB, comme on le lit en permanence dans Le Monde ou dans les écrits des nostalgiques de la guerre froide.
Quand Bush père était à la Maison Blanche, on ne rappelait pas permanence son passé de dirigeant de la CIA.
Certes, la question de la Syrie n’est pas réglée pour autant. Certes, il faut s’assurer de la faisabilité du projet. Certes, on peut douter de la bonne volonté de Bachar El Assad. Certes, on peut penser que dans les rangs de la rébellion, certains auront tout intérêt à faire capoter l’opération. Certes, il ne sera pas facile d’aller chercher les armes chimiques dans un pays déchiré par la guerre civile. Bref, le plus dur est à venir.
Reste que le pire a été (peut être) évité, à savoir l’engrenage guerrier aux lendemains indécis. Force est de reconnaître que la Russie y aura pris une part non négligeable, prouvant ainsi qu’elle ne se réduit pas aux raccourcis manichéens en vogue dans les gazettes. Les adeptes de la diplomatie du missile diront qu’une telle perspective aurait été inenvisageable sans la menace militaire exhibée par les Etats-Unis et la France. C’est possible, mais ce n’est pas certain. On peut aussi y voir la volonté de ne pas rajouter la guerre à la guerre dans un pays d’ores et déjà éclaté.
Dans ce conflit, rien ne pourra se faire sans la Russie et a fortiori contre elle. Ses liens avec la Syrie sont connus. On peut sans doute les critiquer compte tenu de ce qu’est le régime en place à Damas,
mais ils ne sont guère différents de ceux entretenus par les Etats-Unis avec l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui ne sont pas vraiment des modèles de démocratie.
Mais cela devrait amener à regarder le monde avec les lunettes d’aujourd’hui et non avec des clichés hérités d’une époque révolue.