Tribune de Elisabeth Boyer
“Le vivre ensemble” est dans les gènes de la pensée socialiste. Harlem Désir vient de lancer ce slogan pour la campagne nationale du Parti socialiste.
Il est étrange que la candidate à la mairie de Paris n’ait pas “osé” elle aussi en faire son propre credo. […]
Y aurait-il un non-dit, une gêne de la part de la candidate à développer sur le “vivre ensemble” à Paris, un mauvais bilan à cacher? Pourquoi Anne Hidalgo fait-elle l’autruche? Et pourtant Le Nouvel Observateur est formel : “Les habitants de Paris sont satisfaits d’y vivre!” titre-t-il au sujet d’un sondage Ipsos Public Affairs qu’il vient de publier. […]
Entre le mythe et la réalité d’aujourd’hui, le “vivre ensemble” tient-il toujours ses promesses ? Les Parisiens veulent y croire. Ne sont-ils pas les acteurs les plus méritants du “vivre ensemble”, à la sortie des écoles, dans les jardins publics avec leurs enfants, dans les associations, côtoyant les innombrables acteurs économiques qui tiennent à l’image prestigieuse de la capitale ? Se sentant inconsciemment les ambassadeurs de Paris, les Parisiens ont très mal vécu cet été que Pékin soit obligé de demander à Paris de prendre des mesures pour protéger ses ressortissants suite aux agressions nombreuses et répétées de touristes chinois.
L’image de la capitale en a pris un coup, la fierté des Parisiens aussi car ils sont très attachés à la réputation de leur ville, symbole du savoir-vivre français, de la gastronomie, de l’élégance et de la distinction. Paris n’est pas sortie indemne de cet incident. La capitale est apparue tout à coup, dans beaucoup de quartiers, fortement abîmée au regard du civisme, du partage de l’espace public, de la propreté et de l’ordre urbain. Les relations sociales, le respect, le “goût des autres” se révélant un lointain souvenir ou une pure fiction. […]
Les difficultés du “vivre ensemble” sont le non-dit de la gauche parisienne dans la campagne électorale qui est engagée. Un discours moralisateur sert souvent de couvre-feu. Mais les problèmes sont là, et, pour notre pays de tradition républicaine, et Paris encore plus, la question n’est pas secondaire. Le projet du “vivre ensemble” ne résiste plus à la montée des communautarismes qui fragmentent le corps social, enferment les individus dans leurs déterminismes culturels et religieux et les détournent de l’apprentissage de la citoyenneté.
Bertrand Delanoë et sa dauphine sont comptables du laisser-faire communautariste qui a prise de plus en plus sur la capitale. Au mieux, ils l’ont subi, au pire, encouragé, comme l’a théorisé le Think tank socialiste, Terra Nova, dans ses recommandations à la gauche pour reconstituer sa base électorale. Comme maire, Bertrand Delanoë et sa 1ère adjointe ont eu, en 12 ans de mandat, le pouvoir d’agir. L’échec du “vivre ensemble” dans les derniers quartiers populaires du nord de Paris, est palpable. Et il n’y a pourtant aucune fatalité à ce que ces quartiers s’enferment dans un communautarisme marchand, au grand dam des habitants qui supportent de plus en plus mal les commerces de rez-de-chaussée devenus des zones de chalandises de produits exotiques de grande ampleur. […]
Depuis une vingtaine d’années, ceux que l’on qualifie de “Bobos” ont réinvesti les quartiers populaires de Paris en raison de l’attractivité des prix de l’immobilier, mais aussi avec l’idée d’un “vivre ensemble” fait de métissage social et culturel. Mais la gentrification marque le pas et la mixité sociale dont elle était la promesse reste superficielle. Des quartiers s’organisent de plus en plus autour de référents identitaires : alimentation, langue, esthétique, culture, etc. L’entre soi est visible autour de nombreuses rues, bars et commerces. Des micro-mondes se développent mais en se tournant le dos. Les groupes vivent sur le mode du “chacun pour soi” cultivant “l’entre soi” social et familial ; les enfants se retrouvant dans les écoles privées.
Le discours de gauche prônant la mixité sociale et la diversité participe en réalité d’une volonté de distinction. Et le “vivre ensemble” est tellement dans ses gènes que la gauche ne veut, ni ne peut y voir son propre échec. Et elle s’entête ! […]