Thomas Guénolé, politologue (Sciences Po) revient sur les cinq rapports sur l’intégration mis en ligne sur le site du gouvernement et en particulier sur le rapport Lamarre-Maffessoli intitulé “Connaissance, reconnaissance”. Il s’interroge : que signifie être intégré en France ?
Organiser le débat sur l’identité nationale dans les préfectures n’était pas une bonne approche à l’époque, puisque cela a conduit à du noyautage systématique par des militants d’extrême droite plus ou moins névrosés de l’obsession identitaire. Oui, il faut rouvrir ce débat, mais cette fois en laissant la société civile – intellectuels, associations, ONG, etc. – s’en emparer elle-même, avec les médias, comme l’étymologie de leur nom l’indique, comme intermédiaires de ce débat.
Pour que les immigrés – mais aussi les exclus nés en France – puissent s’intégrer harmonieusement à la communauté nationale, à la Cité, encore faut-il que nous soyons capables de définir à quoi il faut qu’ils s’intègrent.
Histoire. Napoléon observait déjà que l’Histoire officielle est un mensonge que personne ne remet en question. En termes moins brutaux, disons simplement que l’Histoire officielle est une simplification abusive des faits constitutifs par accumulation de notre communauté d’aujourd’hui et qu’elle est régulièrement réécrite comme fiction collective officielle permettant de nous donner un récit commun de notre passé de communauté. Bref, connaître l’Histoire officielle, c’est avoir un mensonge commun en partage : par exemple, le mythe de Jeanne d’Arc, sous sa forme contemporaine de Vierge guerrière de la Nation française, est une fiction de fabrication très récente. […]
République, pacte républicain. Sans conteste possible, hormis peut-être une infime minorité aux convictions monarchistes maurassiennes, anarchistes, néonazies, etc., nous sommes tous d’accord pour adhérer à ces deux mots-clés.
Cependant, République : qu’entendons-nous par là ? Res publica, “la chose publique”, est une réponse satisfaisante pour les latinistes, mais pas comme concept opérationnel. Même chose pour le fameux “pacte républicain” : c’est doux à l’oreille, mais concrètement, que mettons-nous dans ce pacte, et où peut-on le consulter ? […]
Langue. Sans vouloir être inutilement désagréable, envisage-t-on sérieusement d’ériger la langue comme critère d’intégration à la communauté française ? Si oui, au regard du souvenir qu nous avons tous des performances dans nos salles de classe lorsqu’avaient lieu les dictées, combien de millions de Français doit-on déchoir de leur nationalité pour ne pas maîtriser la langue française ? Au reste, de quelle langue parle-t-on ? […]