En France, les dérives de la finance ont un nom et un visage connu : Jérôme Kerviel. Aux États-Unis, elles ont longtemps porté le nom de Jordan Belfort, joué par Leonardo Di Caprio dans le dernier film de Martin Scorsese.
« Le Loup de Wall Street », film dans lequel Jean Dujardin fait ses débuts à Hollywood, est adapté de l’autobiographie de Jordan Belfort. Paru en 2007 aux États-Unis et deux ans plus tard en France, en pleine crise financière, le livre a fait l’objet d’enchères à Hollywood pour remporter les droits avant même sa parution.
Il faut dire que le livre était écrit pour être porté à l’écran : Belfort y parle moins d’ingénierie financière que d’hélicoptères écrasés sous l’emprise de la cocaïne, de virées avec des prostituées et de lancers de nains pour amuser les traders.
Sur chaque dollar gagné sur les grosses ventes de ses livres – il en a écrit un deuxième – et les droits d’auteur, Jordan Belfort n’a gardé que 50 centimes. En 2004, la justice américaine l’a condamné à quatre ans de prison et à reverser la moitié de ses revenus aux 1 500 investisseurs qu’il a plumés jusqu’à ce qu’ils aient reçu 110 millions de dollars.
Car Belfort, aujourd’hui âgé de 51 ans, n’était pas qu’un courtier à succès : c’était surtout un escroc. Le plus gros escroc que Wall Street ait connu avant Madoff, et un génie de la vente.
Pas de diplôme, des débuts dans la boucherie, dans le Queens. Après le krach de 1987, il sait que porter son talent de vendeur à Wall Street peut lui permettre de mener la vie de ses modèles, Richard Gere dans « Pretty Woman » et Michael Douglas dans « Wall Street ».
Sa société, qu’il crée un an seulement après avoir découvert la finance, s’appelle Stratton Oakmont. L’aventure durera dix ans, avec 1 000 traders au plus haut de l’escroquerie.
« Personne ne raccroche le téléphone ! »
Belfort vendait des actions qui ne valaient rien à des investisseurs crédules. Une fois qu’il avait fait remonter le cours artificiellement, il vendait ses propres actions et le faisait chuter. A ses jeunes disciples, il donnait cet ordre :
« Personne ne raccroche le téléphone avant que le client n’achète ou ne meure ! »
En 2009, il résumait dans une interview au Monde pourquoi la justice l’avait condamné :
« J’ai créé une société qui s’occupait de lever des capitaux pour des entreprises, de les introduire en Bourse et de vendre des actions à des investisseurs. J’étais assez doué pour les affaires, je gagnais 50 millions de dollars par an, 1 000 personnes travaillaient pour moi.
J’ai transgressé les règles, j’ai manipulé des cours de Bourse et je l’ai fait à grande échelle. J’ai utilisé les possibilités de dissimulation offertes par les paradis fiscaux et j’ai placé de l’argent en Suisse. »
« Le Bûcher des vanités » et Tommy Chong
Belfort n’a fait que 22 mois de prison. Un allègement d’une peine déjà très légère, obtenue après avoir balancé ses associés au FBI. Dans la cellule de sa prison de luxe, un livre et un homme le persuadent d’écrire son histoire :
- le livre, c’est « Le Bûcher des vanités » de Tom Wolfe, premier best-seller sur Wall Street dont il peut citer des passages entiers ;
- l’homme, c’est Tommy Chong, l’acteur du film culte sur la marijuana « Cheech & Chong », en prison pour avoir vendu des pipes à eau – des « bongs » – sur Internet.
Début de son opération réhabilitation pour laver son image et sa conscience, comme dans cet article du New York Times :
« Les gens ont le droit à la rédemption. J’ai fait de terribles erreurs mais qui a bu ne boira pas forcément. […] Chaque matin, je me lève et je me sens mal d’avoir fait ça. Je sais que j’ai des cadavres dans le placard, mais n’est-ce pas possible de m’en débarrasser ? La croix que je porte est beaucoup trop lourde. »
Une heure de conférence payée 30.000 $
Bronzage à la Tapie, carrure de pilier de salle de muscu, Jordan Belfort habite désormais à Los Angeles, dans un quartier pas spécialement friqué. Il explique à ses deux enfants et aux journalistes qu’il est un homme bien, et dispense dans des conférences à 30 000 dollars – pour une heure de discours – ses conseils de vente ou d’éthique des affaires.
La quasi-totalité de ses conférences ont lieu à l’étranger : aux États-Unis, très peu l’ont pardonné.
Belfort a toujours prétendu, et prétend toujours, n’avoir fait perdre de l’argent qu’à ceux qui pouvaient se le permettre. Sauf que ce n’était pas le cas de tous ses clients. Dealbook, du NYTimes.com, a rencontré certains des investisseurs que l’homme d’affaires avait convaincu d’acheter des actions sans valeur.
Il y a ce dentiste à la retraite du Texas, qui a perdu 250 000 dollars et a eu du mal à joindre les deux bouts pendant longtemps. Stratton lui avait fait gagner de l’argent sur de bonnes actions pour obtenir sa confiance, avant de faire n’importe quoi. Quand il voulait retirer ses billes, les traders de Belfort se faisaient très insistants, voire agressifs en lui parlant à deux au téléphone.
Il y a aussi cet expert en immobilier de Californie, qui continue de payer le crédit contracté pour investir sur les conseils de Stratton. « Si je vois le film, ce sera sans payer », dit-il.
Mais qui l’appelle « le loup de Wall Street » ?
Depuis le mois d’octobre, Belfort a à nouveau des problèmes avec la justice : il apparaît que, depuis la fin de sa période probatoire en 2010, il ne rembourse quasiment rien à ses victimes des années 90 malgré des revenus très confortables. L’homme se défend et affirme avoir proposé de reverser l’intégralité des revenus tirés du film et de ses livres, offre rejetée par l’administration.
Diane Nygaard, avocate de certaines victimes, résume son sentiment après des années de bataille judiciaire :
« Personne ne devrait placer sa confiance en lui. »
Un autre avocat ajoute :
« Durant toutes ces années d’enquête sur son compte, après des centaines d’heures passées avec lui et ses comparses, je n’ai jamais entendu quiconque l’appeler “le loup de Wall Street”. »