La règle de Volcker, adoptée cette semaine, limite en théorie la prise de risque des banques et leurs opérations en propre, mais elle ne devrait en réalité pas les affecter beaucoup car les exceptions et possibilités d’en contourner la lettre sont légion.
La règle de Volcker, dont les règles d’application ont été finalement adoptées cette semaine par les agences de régulation financière trois ans et demi après le vote de la loi de réforme financière, vise à limiter les activités spéculatives des banques dont les investissements massifs dans des produits dérivés risqués ont entraîné la faillite de Lehman Brothers et la pire crise financière depuis 1929. Les grandes banques de Wall Street ont dû faire l’objet d’un plan de sauvetage bancaire de dizaines de milliards de dollars du gouvernement américain.
La règle de Volcker, qui n’entrera totalement en vigueur qu’en juillet 2015, impose essentiellement une limite aux activités de dérivés et interdit aux banques assurées par la banque centrale (Fed) et la FDIC, l’un des organismes de réglementation bancaire, de faire du courtage pour leur propre compte (proprietary trading).
Mesure inspirée par la baleine de Londres
Le texte d’application de la loi stipule que les banques doivent justifier leurs “opérations de couverture” (hedging), les opérations de marché visant à contre-balancer une autre opération pour limiter les risques. Ce chapitre a été inspiré par l’affaire dite de la “Baleine de Londres”, qui s’est traduite par une perte de courtage massive de 6 milliards de dollars en 2012 pour la première banque américaine, JPMorgan Chase.
Des traders du bureau de Londres de la banque avaient acheté des dérivés de crédits européens, affirmant qu’il s’agissait d’achats de couverture, alors que la taille énorme de ces positions très risquées ressemblait plus à de la spéculation. La plupart des banques n’ont pas fait des commentaires sur l’adoption finale du texte d’application de la loi, le PDG de JPMorgan, Jamie Dimon, se contentant de dire que sa banque allait “s’ajuster” et qu’elle serait “à même de gérer la règle de Volcker“.
Pour Michael Wong, analyste bancaire au centre de recherche Morningstar, le texte final a plutôt rassuré le secteur bancaire. Les actions de Goldman Sachs et Morgan Stanley ont d’ailleurs progressé après son adoption.
“Le texte final ressemble au code fiscal américain: on est sensé payer des impôts sur tout mais il y a des tonnes d’exceptions”, indique cet expert. “Là c’est pareil: on n’a pas le droit de faire du courtage en propre sauf pour les bonds du Trésor, pas le droit d’investir dans des fonds spéculatifs sauf si ça pèse moins de 3% des fonds propres, etc.”.
Michael Wong souligne que la plupart des grandes banques, comme Goldman Sachs, “ont déjà cédé ou fermé leurs activités de courtage en propre les plus visibles” depuis trois ans. Morgan Stanley a même profondément changé son modèle d’activité, réduisant la part du trading pour s’assimiler de plus en plus à un gigantesque gestionnaire d’actif.
Les inquiétudes bancaires levées
Au final, le “texte aurait pu être beaucoup plus strict” car le secteur craignait qu’il interdise les activités de teneur de marché (market making) ou les opérations de couverture, explique M. Wong.
A l’inverse, les banques ont toujours le droit d’acheter certains produits sans que ce soit nécessairement pour se couvrir, du moment qu’il y a une “attente raisonnable” de demande de la part des clients.
Une formulation suffisamment floue pour quasiment tout justifier.
Les opérations de couverture devront de leur côté être justifiées une par une.
“La règle de Volcker est un pas dans la bonne direction, mais dans ces 921 pages, il y a beaucoup de marge pour l’interpréter et les équipes d’avocats des banques sont en train de voir comment la contourner”, juge Cam Harvey, professeur de finance à l’université de Duke.
Au final, ce sont surtout les coûts de conformité à la loi qui vont s’alourdir pour les banques, estime Michael Wong. Et “si les régulateurs ne la font pas respecter strictement, elle ne servira à rien”.