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Avis de gros temps dans les fjords norvégiens. La diffusion, début novembre, sur France 2, d’un reportage de l’émission « Envoyé spécial », mettant crûment en cause le saumon norvégien, a causé quelques remous du côté du cercle polaire. Même si l’attaque n’est pas nouvelle, le moment choisi, à quelques encablures de Noël, suscite le malaise chez les acteurs de ce marché.

Qualifié de « monde secret, opaque », le secteur de l’aquaculture n’était guère à son avantage dans le reportage de la chaîne publique.

De même le saumon, considéré « comme la nourriture la plus toxique au monde ».

Le journaliste avait, il est vrai, choisi comme guide, pour naviguer sur les eaux froides des fjords, un militant écologiste, Kurt Oddekalv, de l’association Green Warriors of Norway, en lutte contre l’aquaculture intensive.

Des images prises à distance depuis son bateau montrent des employés pulvérisant à grands jets des pesticides sur les bassins regorgeant de poissons.

Puis des vues sous-marines dévoilent les fonds des fjords détruits par l’accumulation des excréments de poisson et les produits de traitement. Enfin, des chercheurs expliquent le cocktail de PCB, de dioxines ou autres substances toxiques, que le saumon, poisson gras, stocke. Et ce d’autant plus s’il est nourri avec des farines de petits poissons pêchés dans la Baltique, polluée.
Sérieux doutes sur le poisson d’élevage norvégien

Ce voyage glaçant au pays du saumon n’a pas manqué de rallumer les craintes alimentaires des consommateurs français. Et de faire planer de sérieux doutes sur le poisson d’élevage norvégien. Ramon Mac Crohon, directeur général de Caviar Kaspia, célèbre maison de produits gourmets de la mer de la place de la Madeleine à Paris, le reconnaît aisément : « Depuis, nos clients nous posent de nombreuses questions sur le saumon norvégien. »

Pour répondre aux interrogations des clients, les vendeurs se sont vu remettre une feuille d’argumentaire élaborée par Norge, le centre des produits de la mer de Norvège. Cet organisme de promotion et de lobby financé par les industriels de l’aquaculture et de la pêche a, en effet, immédiatement mis en place des contre-feux. Campagnes de publicité pour vanter le savoir-faire des professionnels norvégiens. Communiqué publié sur son site Internet pour apporter des réponses aux différentes mises en cause. Mais aussi organisation d’un voyage de presse « transparence », auquel a justement participé une équipe de France 2, pour donner un autre son de cloche. Son reportage a été diffusé lors du journal de 20 heures, lundi 16 décembre.

Il est vrai que les enjeux sont d’importance pour la Norvège.

L’aquaculture et la pêche représentent la deuxième source de revenus du pays après le pétrole.

Elles pesaient, en 2012, 6,6 milliards d’euros. L’exportation de saumon représente, à elle seule, 3,8 milliards d’euros. En l’espace d’une trentaine d’années, la Norvège a participé à l’explosion de ce marché très lucratif. Quasi inexistant au début des années 1980, il a dépassé la barre de 2 million de tonnes de saumons produits dans des fermes aquacoles de par le monde. La Norvège en détient toujours près de 60 %.

Ce développement accéléré a donné naissance à des acteurs de taille industrielle. Le premier d’entre eux n’est autre que le leader mondial du saumon, Marine Harvest, qui se qualifie de « fournisseur de protéines ». Cette entreprise, peu connue du grand public, a pourtant contribué, même si elle s’en serait bien passée, à un événement, lui, très médiatisé : la récente révolte des « bonnets rouges ».

L’annonce de la fermeture de deux de ses sites de production en Bretagne, dont l’un près de Carhaix, a déclenché la colère de ses salariés, mais aussi de l’un des meneurs du mouvement, Christian Troadec, maire de la commune finistérienne. La fin programmée des deux usines, au printemps 2014, jugées moins productives que leurs homologues polonaises, devrait se traduire par 400 suppressions d’emplois.

Avec ses fermes en Norvège, en Écosse, dans les îles Féroé, au Chili ou au Canada, Marine Harvest a affiché en 2012 un chiffre d’affaires de 15,569 milliards de couronnes norvégiennes (1,85 milliard d’euros). Il entraîne dans son sillage de nombreux concurrents norvégiens. A l’instar de son principal challenger, Leroy Seafood, mais aussi de Grieg Seafood, Norway Royal Salmon ou SalMar. L’aiguillon vient aussi des îles Féroé, avec Bakkafrost. Toutes ces sociétés sont cotées à la Bourse d’Oslo.

Ce poisson plaît à tous

Tout en industrialisant la production de saumon, de l’écloserie à la découpe, les entreprises ont démocratisé sa consommation en nouant des liens forts avec la grande distribution. Il semble loin, le temps où le saumon fumé était un mets privilégié, réservé aux tables de fêtes.

En France, en particulier, cet aliment s’est totalement banalisé, grâce au rayon frais. Au point que l’Hexagone est désormais le premier client des fermes d’aquaculture norvégiennes. « Le saumon est devenu le produit aquatique le plus consommé par les Français », constate Dominique Defrance, délégué filière pêche et aquaculture à FranceAgriMer, qui explique : « C’est un produit qui a été très bien conditionné. Il est coupé, standardisé, facile à cuisiner et il n’a pas d’arêtes. »

Il est aussi facilement accessible, car présent dans la plupart des enseignes alimentaires, qu’il soit sous forme de darnes, de filets, de pavés, entier. Le saumon fumé n’échappe pas au mouvement. « Les ventes de saumon fumé sont passées de 6 000 à 20 000 tonnes en vingt ans et sont moins concentrées sur la période de Noël », affirme Jacques Trottier, directeur général de Labeyrie.

Dans son étude consommateurs, FranceAgriMer le démontre. Ce poisson plaît à tous, au-delà des clivages, aux enfants comme aux adultes, aux ouvriers comme aux cadres, aux citadins comme aux campagnards. Difficile de trouver un tel consensus. « Dans nos études, quand nous demandons aux sondés par quoi ils pourraient le remplacer, ils évoquent un peu le cabillaud, mais surtout la volaille ou le porc », souligne M. Defrance.

Production à l’échelle industrielle

Et finalement, entre le poulet, le porc et le saumon, les similitudes ne manquent pas. Même si le saumon l’a fait avec un temps de retard, ces productions animales sont passées du stade artisanal à l’échelle industrielle. L’objectif : offrir une alimentation abondante à faible coût au plus grand nombre. Revers de la médaille : les problèmes sanitaires ou de pollution, causés par la concentration très forte des animaux dans un espace restreint, pèsent sur les élevages les plus intensifs.

Le Monde

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