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A 32 ans, Matoub, né en France de parents immigrés, ne peut se résoudre à la même vie de labeur, de pauvreté et de soumission. Sorti du système scolaire à 16 ans, après une orientation imposée en BEP électrotechnique, il est sans diplôme, sans emploi, sans argent. Et commence la vente de drogues. Après quatre incarcérations, il dort de nouveau sur le canapé de ses parents.

Pouvez-vous raconter l’histoire de votre famille, aviez-vous des difficultés particulières ?

Je suis d’origine marocaine, ou plutôt berbère, le deuxième d’une famille de sept enfants. Mon père est arrivé en France en 1966, ma mère l’a rejoint avec ma sœur en 1980, dans le cadre du rapprochement familial.

Mon père était électricien dans le bâtiment, il se levait tôt et rentrait tard. Ma mère ne parlait pas bien français, elle était mère au foyer. On habitait à neuf personnes dans un appartement avec un salon et deux chambres, dans une commune de la métropole de Lille.

On avait tous des lits pliables, on faisait des montagnes de matelas, de couvertures et d’oreillers. Mes parents ont fait le maximum, nous n’avons jamais eu faim ni froid, ils nous ont donné une bonne éducation. Mon père est très respectueux de la loi, jusqu’au ticket d’horodateur, il ne sait pas ce qu’est une amende.

Et à l’école, comme cela s’est passé pour vous ?

J’ai eu un parcours normal jusqu’à la troisième. Ce n’était pas évident de faire nos devoirs à la maison, il y avait souvent du bruit avec les petits qui pleuraient. Et pas assez de place. Mais j’arrivais à suivre, j’étais un élève moyen, j’ai eu le brevet.

En fin de troisième, la directrice du collège a décidé de m’orienter en BEP électrotechnique. Nous étions quatre Marocains dans la classe, tous orientés en lycée technique alors qu’on demandait à passer en filière générale.

Ceux qui avaient des mères françaises, qui connaissaient bien le système et ont pu se battre, ont obtenu gain de cause. Ils sont aujourd’hui ingénieurs. Mais mon autre collègue et moi, nos parents ne savaient pas comment intervenir. On a laissé passer. C’est l’erreur de notre vie. Par la suite, j’ai fait du trafic de drogue, et lui des braquages.

Et vous êtes resté en BEP, du coup ?

L’atelier, les tournevis, ça ne me plaisait pas du tout. J’ai dit à mon professeur principal que je voulais faire une première d’adaptation pour repartir en générale. Il m’a répondu : « Mais tu rêves ! C’est uniquement quelques privilégiés qui vont en première adaptation, il faut 18 de moyenne. » Mes notes étaient en dessous de la moyenne, je me suis découragé. Le matin, je préférais dormir, ma mère me réveillait de force, j’étais tout le temps en retard.

Et puis je n’y suis plus allé, je mentais à mes parents. J’ai fini par passer en conseil de discipline pour absences injustifiées et j’ai été exclu. A 16 ans, j’étais sorti du système scolaire.

Avez-vous engagé d’autres démarches à ce moment-là ?

J’ai essayé de me réinscrire en générale, mais j’avais deux ans de retard, il fallait que des places se libèrent et je n’étais pas prioritaire. J’ai écrit en vain au rectorat, à l’académie, partout. Je suis allé à l’ANPE, mais il n’y avait rien pour un jeune de 16 ans. Je ne pouvais accéder au RMI avant 25 ans, les allocations familiales avaient été suspendues à cause de mon exclusion.

Je n’arrivais pas à digérer l’épisode de mon orientation en BEP. Ma grande sœur a eu plus de volonté. C’était une des meilleures de sa classe, mais ils l’ont aussi envoyée en BEP secrétariat. Elle s’est battue, elle révisait dans les escaliers, elle a eu son BEP, puis son bac pro, et elle est partie à la fac. Moi, je suis resté avec l’impression de m’être fait avoir, qu’on m’imposait de faire le même métier que mon père, par racisme.

Aviez-vous déjà été confronté au racisme avant ?

Quand je jouais dans la rue avec les enfants du quartier, il arrivait souvent que leurs parents viennent les chercher en disant bien fort : « Faut pas jouer avec les Arabes, ils ont des poux. » Quand on le racontait à notre père, il répondait : « Faut les laisser dire ce qu’ils veulent, de toutes façons ils sont chez eux. »

Lui, il laissait passer, moi je ne pouvais pas. Je faisais partie de la première génération née en France, nous n’étions pas des immigrés. On allait en classe avec les Français, on fêtait Noël et le 14 Juillet, on supportait l’équipe française de football et pas celle du Maroc. La différence avec les Français de notre âge, c’est qu’ils avaient de l’argent de poche, des mobylettes et des cadeaux de Noël. Nous, on n’avait pas un sou en poche et des coups de pression de partout.

A la maison, j’étais traité de bon à rien, j’étais gêné de manger gratuitement. Dans la rue, on se faisait contrôler par la police deux ou trois fois par jour : on était déjà traités comme des délinquants avant d’avoir commencé.

Vous étiez souvent dehors ?

Oui, je ne pouvais rien faire à la maison sans déranger : je risquais de réveiller les autres, je n’avais pas d’espace à moi. On enchaînait les nuits blanches, commençant à côtoyer la génération de deux-trois ans au-dessus, passée par le même parcours. Ils étaient déjà dans le business, on a commencé à se renseigner.

Notre motivation, c’était de devenir comme les jeunes qu’on regardait passer sur leur scooter avec leur copine à l’arrière, leur beau pull et leurs belles baskets. Nous, pour avoir tout ça, il fallait qu’on se brûle les doigts. Et on l’a fait, on a commencé les conneries, un peu de business.

Comment commence-t-on un « business » ?

C’est comme un commerce : vous achetez quelque chose au volume et le revendez plus cher au détail. Un garçon plus vieux que moi me donnait un petit cube de cannabis de 10 grammes, j’en faisais des lamelles que je vendais 10 à 20 francs….

Vous ne vendiez que du cannabis ?

Un jour, j’ai croisé un monsieur de 40 ans, il vendait de la « dure ». Je lui ai offert un bout de shit et il m’a ramené chez lui pour me proposer du business. C’était la première fois que je voyais de l’héroïne. Je lui ai donné 600 francs, il m’a fait des petites enveloppes, des « képas », et m’a expliqué :

« Tu vas te mettre à cet endroit, et quand tu vas voir des gens ralentir, demande leur s’ils cherchent quelque chose. »

Je suis allé chanter ma petite chanson, les gens me répondaient : « Oui, t’as quelque chose ? » Et ils ne me donnaient plus des billets de 20 francs, mais de 200. J’ai récolté 2 000 francs, je n’avais jamais tenu dans mes mains une somme pareille.

Je suis retourné le voir, et ainsi de suite. On a tous eu notre scooter et notre copine, on était trop contents. Mon père a commencé à se poser des questions, à fouiller dans mes affaires, mais il n’a jamais rien trouvé. J’ai duré trois ans comme ça.

Comment s’est passée votre rencontre avec la justice ?

Le jour de mes 20 ans, la police a débarqué chez mes parents à 6 heures du matin. Ils ont explosé la porte au bélier, ils sont rentrés et m’ont interpellé. Ma famille était choquée. Même moi, c’était la première fois que je voyais une intervention avec les lampes torches, les cris, les chiens.

Je me suis vraiment rendu compte à ce moment-là de ce que j’étais en train de faire. En garde à vue, j’ai tout de suite reconnu. Et je me suis retrouvé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Douai…

Au fur et à mesure, je suis devenu un taulard, marchant toujours avec les mêmes en promenade : on discute de comment on s’est fait prendre, on partage les savoirs…

Après trois mois de détention provisoire, je suis libéré dans l’attente du jugement. J’en sais beaucoup plus sur le milieu, les activités, et j’ai compris comment je me suis fait avoir.

Comment votre vie reprend après ce passage en prison ?

Dans un premier temps, j’arrête les conneries, mon entourage me met la pression et je fais mon maximum pour travailler. Avec mon CV presque vide, j’ai accès à des missions d’intérim de quelques jours, et puis ça s’arrête.

Je suis de retour chez mes parents, je suis la honte de la famille, celui qui a ramené les problèmes à la maison. Finalement, je recommence mes conneries, car je galère trop avec l’intérim….

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