Les bobos prônent la mixité sociale mais vivent entre eux. On les accuse d’avoir chassé les pauvres des centres-villes. Sont-ils vraiment les seuls responsables ?
L’heure n’est plus à l’humour. Les gentilles moqueries dont le bobo était l’objet ont laissé place à de féroces reproches. Et, cette fois, ce sont les chercheurs qui dégainent : autrefois sympathique quoiqu’un brin ridicule, le bobo est devenu l’ennemi public numéro un, maudit pour avoir importé son style de vie dans les quartiers populaires de Paris – du canal Saint-Martin à Belleville, de Ménilmontant jusqu’au Bas-Montreuil – et de certaines villes de province.
Qui est-il vraiment, ce « bobo », apparu pour la première fois sous la plume du journaliste américain David Brooks en 2000 (1) ? Intermittent, enseignant, psy, producteur télé, journaliste… son profil est loin d’être homogène et n’est réductible ni à une catégorie socioprofessionnelle, ni à une classe sociale traditionnelle.
Mais une chose est sûre : le bobo a pris d’assaut les quartiers populaires, réhabilité des immeubles anciens (surtout pas haussmanniens !) ou des usines désaffectées qu’il a transformées en lofts. Et ça, on ne le lui pardonne pas.
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L’Afrique du Sud au temps de l’apartheid
« Dans les quartiers du Nord et de l’Est parisien, […] il n’est pas rare de trouver des copropriétés privées occupées exclusivement par des bobos, “blancs”, jouxtant des immeubles où demeurent une majorité de ménages précarisés d’origine maghrébine et africaine, souligne-t-il. Vus d’avion, ces quartiers illustrent apparemment l’idéal de la ville mixte, leur diversité sociale et culturelle étant une réalité perceptible dans l’espace public. En plan rapproché, la ville “arc-en-ciel” laisse la place à un découpage du parc de logements qui nous ramène plus à l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid. »
La violence de ces attaques laisse apparaître un étrange fantasme de pureté souillée par l’arrivée du bobo sur des terres qui ne sont pas les siennes. A croire que le chacun chez soi vaut toujours mieux qu’une diversité certes imparfaite… Le journaliste politique Thomas Legrand, auteur d’un livre à paraître sur La République bobo (4), se montre plus prudent. Il distingue deux catégories : les « bobos gentrifieurs » et les « bobos mixeurs », dont il loue les vertus, jurant que ces derniers s’installent dans des quartiers suffisamment équipés en logements sociaux pour ne pas risquer l’embourgeoisement…
Non, les principes d’ouverture affichés par cette nouvelle bourgeoisie ne sont pas des vains mots. « Ce n’est pas un scoop, la proximité spatiale n’annule pas les inégalités sociales, avance Sylvie Tissot, professeur de science politique, spécialiste de la gentrification. Mais la revendication de mixité sociale par les bobos a des traductions concrètes dans leur manière de vivre avec les autres. »
S’engager dans des collectifs du type RESF (Réseau éducation sans frontières), militer dans des associations de parents d’élèves comme la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves), participer à la vie festive et culturelle locale sont de vraies formes d’échange – même si de telles pratiques permettent aussi de rester aux commandes de l’école et autres lieux clés du quartier.
A Paris comme dans de nombreuses villes d’Europe et des Etats-Unis, explique en effet la sociologue, « cet amour de la diversité existe, mais il va de pair avec des efforts pour la contrôler. On apprécie d’habiter à proximité d’immigrés, de gays, de pauvres, à condition que ce soit dans des proportions assez raisonnables pour que ces populations ne soient pas trop menaçantes ».